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Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/521

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d’état de remplir les fonctions d’organes aspirateurs, à une époque où la terre, exposée à toute l’ardeur du soleil, éprouve, s’il est permis de parler ainsi, une sorte de torréfaction.

Cette considération devroit, ce me semble, être de quelque poids, et servir à justifier l’opinion dans laquelle on est assez généralement, que la culture des racines potagères est un moyen efficace de reposer la terre ; qu’elles lui rendent beaucoup plus de principes qu’elles n’en ont reçus ; que l’épaisseur et l’étendue de leur feuillage contribuent à la maintenir en un meilleur état, en couvrant et ombrageant tout le terrain ; elles empêchent la croissance des plantes parasites, attirent tous les matériaux de la sève, et enrichissent plutôt le sol qu’elles ne l’appauvrissent. Il nous paroît donc, par une suite de ce raisonnement, qu’il faut être très-circonspect, lorsqu’il s’agit de retrancher leur feuillage, non seulement pour le volume et la qualité des racines, mais encore pour l’avantage du fonds lui-même, et le succès des récoltes futures, enfin pour la santé des habitans.

Il existe, dans un des faubourgs de St-Omer, des tissus de racines mêlés de terre grasse, détachés les uns des autres, mobiles et errans, qui ne s’enfoncent jamais. Quoique les hommes s’y promènent et que les bestiaux y paissent, il s’y est formé, depuis quelques années, des atterrissemens qu’on a défrichés, et qu’on loue jusqu’à cent francs l’arpent. Les habitans de ce faubourg, distingués des autres citoyens de la ville par leurs mœurs, par leur langage et par leurs vêtemens, sont au nombre de trois mille environ, et semblent composer une espèce de république particulière, dans laquelle on retrouve les traces de la simplicité et de la bonne foi du premier âge. Ils ont converti ces terres marécageuses en jardins potagers, qui représentent autant de petites îles d’où l’on ne sauroit sortir qu’à l’aide d’une chaloupe. Cultivant exclusivement des plantes potagères, ils en transportent sur des barques aux marches de Saint-Omer, de Dunkerque, d’Aire et même jusqu’à Lille. Il en résulte, pour le pays, la salubrité de l’air et un commerce considérable. Par-tout où la culture peut s’établir, les lieux aquatiques deviennent sains, et où les bras trouvent un salaire avantageux, ils s’y multiplient. Combien de terrains vagues et marécageux, qui répandent au loin l’infection et la mort, rappelleroient la santé et la vie par la végétation vigoureuse de ces plantes ! Si elles ne sont pour les riches citadins qu’un accessoire à leur nourriture, un mets de plus sur leurs tables, de quelle utilité ne seroient-elles pas dans les campagnes, où souvent il n’y a qu’un peu de lard ou de beurre pour faire la soupe ? Elles deviendroient la bonne chère de leurs habitans.

Les racines potagères, dira-t-on, sont généralement cultivées en France ; il n’y a pas de jardin où l’on n’en apperçoive quelques carrés ; les hommes en vivent certains jours de l’année, et font manger les rebuts à leurs bestiaux. Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut les considérer ; et, tant que leur culture en grand, qui fait une des branches de la richesse rurale de l’Allemagne et de l’Angleterre, se trouvera reléguée dans deux ou trois de nos provinces, les racines ne pourront jamais former la base de la subsistance journalière du ménage et de la basse-cour. N’est-il pas ridicule que les cantons ruraux les plus éloignés des cités n’en récoltent pas de quoi fournir à leur propre consommation, et que, forcés souvent d’aller s’en approvisionner à la ville, ils rapportent au village, en échange des grains qu’ils ont vendus au marché, une denrée toujours trop chère et trop rare, pour profiter de tous ces avantages, lorsqu’il leur seroit si facile de consacrer toujours, dans les environs de l’habitation, quelques arpens à cette culture, dont le produit ne sauroit être