Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/587

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couche inférieure, aux racines et aux engrais nouveaux qu’on y ajoute, redonnent à la terre les moyens de fournir à de nouvelles végétations. Mais, pour cela, il faut que ces substances soient disséminées dans la couche végétale accessible aux racines, et il n’y a que les labours qui puissent opérer ce mélange.

Mais pourquoi, ne manquera-t-on pas d’observer, si la couche de terre dans laquelle ont vécu les racines qui ont produit une récolte a absorbé tout le carbone qui s’y rencontroit, d’autres végétaux de familles différentes, et souvent même qui n’en différent que par le genre seulement, croîtront-ils très-bien, et fourniront-ils une nouvelle récolte, sans qu’il soit besoin de mettre de nouveaux engrais sur ce champ prétendu épuisé ?

On sait d’abord que les racines des végétaux descendent en terre, à différentes profondeurs ; qu’il en est qui forment un réseau de chevelu à la surface de la terre, et qui ne s’y enfoncent que de quelques lignes ; d’autres qui embrassent une épaisseur de terre de plusieurs pouces ; que plusieurs, dans la division des plantes vivaces sur-tout, vont chercher leur nourriture à deux et trois pieds de profondeur ; et qu’enfin, il existe des arbres dont les racines pivotantes s’enfoncent à plus d’une toise. Si l’on alterne ses cultures avec des végétaux qui offrent de telles différences dans la disposition de leurs racines, il n’est pas difficile de résoudre l’objection proposée, puisqu’on peut attribuer ce fait à l’aptitude des racines, dont les unes atteignent le carbone que n’ont pu atteindre les autres, et que toutes trouvent leur aliment sur le même sol, mais à des profondeurs différentes.

Mais enfin, pourquoi, demandera-t-on encore, deux plantes de même famille, dont les racines ont à l’extérieur la même configuration, et qui s’étendent à la même profondeur, peuvent-elles se succéder avec avantage sur le même sol et y fournir de bonnes récoltes ; tandis que la même espèce de plante ne pourra être semée deux années de suite, dans la même pièce de terre, sans que la deuxième récolte ne soit très-inférieure à celle de la première, semis, culture, engrais, température, toutes choses étant égales d’ailleurs ? Ce fait, observé dans la plus haute antiquité, a donné lieu à l’établissement d’un principe général, reconnu des agriculteurs, et d’où est dérivée la pratique d’alterner les cultures sur le même sol. Ce principe n’admet aucune exception, tant pour la culture des champs, que pour celle des jardins, des vergers et même pour la plantation des forêts. Beaucoup de physiciens ont cherché à expliquer ce fait remarquable ; mais, jusqu’à présent, ils n’en ont pas donné une solution satisfaisante.

Essayons de hasarder des vues qui pourront jeter quelques lumières sur l’explication de ce fait important.

D’abord, il n’est pas certain que des racines, qui ont à l’extérieur et à l’œil la même configuration, aient la même organisation intérieure, et soient également douées de la faculté de s’emparer des mêmes sucs nourriciers et dans le même degré de ténuité ; la différence qu’elles offrent dans le port extérieur de leur végétation et dans la forme de leurs parties prouve au contraire qu’il existe des différences dans leur organisation interne, puisque l’une est une suite nécessaire et indispensable de l’autre.

D’une autre part, on sait que les engrais agissent, dans la terre, de différentes manières ; les uns en la divisant ; les autres en agglomérant ses diverses particules ; quelques uns la conservant humide ; d’autres, au contraire, en la desséchant ; et tous lui fournissant plus ou moins de carbone, sur-tout ceux tirés du règne végétal.

Ce carbone ne passe pas subitement à l’état de combinaison et de ténuité qui le rend propre à être absorbé par les racines des végétaux ; tout semble prouver, au contraire, qu’il lui faut plusieurs années d’élaboration : si donc un champ de blé a épuisé, pendant sa végétation, tout le carbone qui se trouvoit dans l’état convenable à sa nutrition, et le fumier qui doit la remplacer n’ayant pas eu le temps d’être élaboré au point convenable, le nouveau blé qu’on sèmera dans ce même champ, l’année suivante, trouvant moins de parties nutritives, ou qui ne sont point encore élaborées au point convenable à sa nature, croîtra moins vigoureusement et fournira une récolte inférieure à la première.

Mais, si l’on sème sur ce même champ une autre espèce de froment, une graminée d’un genre différent, et, encore mieux, une plante d’une autre famille, celle-là, trouvant le carbone délaissé par le froment, auquel se trouva uni celui enterré par les labours, s’en emparera, en fera son profit et fournira une végétation vigoureuse. Cette explication, qu’on pourroit appuyer sur un grand nombre d’observations, paroît avoir quelque degré de certitude ; mais, quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai que la pratique d’alterner les cultures de toutes espèces ne soit une des plus utiles au perfec-