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la petite rivière d’Autrui qui se décharge dans celle d’Etampes, la Touvre en Angoumois, le Gardon, etc., etc. La grandeur ordinaire de ces poissons est d’un pied à un pied et demi : l’on en voit quelquefois qui pèsent quatre ou six livres, et même, dit-on, jusqu’à dix-huit livres. Elles nagent contre la direction des eaux les plus rapides ; et s’il se rencontre quelque obstacle sur leur passage, elles le franchissent avec aisance : elles peuvent s’élancer, comme le saumon, à six pieds de hauteur.

L’automne est la saison ordinaire du frai des truites : on les voit alors remonter les rivières, et même entrer dans les ruisseaux où il n’y a que quelques pouces d’eau, pour y chercher un gravier arrosé par un léger courant, et sur lequel les femelles déposent leurs œufs. Quoique le nombre de ces œufs soit moins considérable que celui de la plupart des autres espèces, les truites paroissent multiplier davantage ; ce qui vient, sans doute, de ce que les poissons voraces craignent de les suivre dans les eaux froides où elles se plaisent. Leur nourriture se compose de petits poissons, de coquillages, de vers, d’insectes, et particulièrement d’éphémères et de fryganes, qu’elles saisissent avec adresse auprès de la surface de l’eau. L’on prétend que les grosses truites dévorent fréquemment les plus petites.

Le désir de rassembler des truites et de les prendre à volonté, a fait imaginer d’en peupler des étangs ; mais cette branche d’économie, qui présente des avantages aux propriétaires, exige des précautions, et ne réussit pas toujours. Il s’en faut bien que toutes les eaux soient propres à former ces sortes de réservoirs, où le goût et le luxe de la bonne chère ne manquent pas de venir puiser. Il faut une eau claire et froide, un fond de sable ou de cailloux, des sources ou un ruisseau ombragé qui y amène sans cesse une eau froide et limpide ; des bords assez élevés pour que les truites, qui aiment à sauter, ne s’élancent pas par-dessus ; de grands arbres, plantés assez près de ces bords, pour que leur ombre entretienne la fraîcheur de l’eau ; sur le fond, des racines d’arbres ou de grosses pierres entre lesquelles les œufs puissent être déposés ; un fossé ou des digues pour prévenir les inondations, et empêcher l’entrée des eaux sales et bourbeuses que les pluies font couler dans les ravins, et qui sont presque toujours mortelles aux truites ; une profondeur de sept à dix pieds, sans laquelle les truites monteroient à la surface de l’eau en temps d’orage et y périroient ; une grande quantité de goujons, de loches, de vérons, de meuniers, et d’autres poissons, dont les truites aiment à se nourrir, ou, à leur défaut, de petits morceaux de foie hachés, des entrailles d’animaux, des gâteaux secs, faits de sang de bœuf et d’orge mondé[1] ; les bondes garnies d’une grille assez fine pour arrêter l’alevin ; enfin, une attention soutenue pour éloigner de l’étang les poissons voraces, les grenouilles, les loutres, les oiseaux pêcheurs, pour casser la glace en hiver, et pour empêcher que les bouches de l’étang ne soient jamais prises par la gelée.

Le meilleur emplacement d’un étang à truites, est une vallée ombragée, qui ait une source ou du moins un ruisseau dont la source soit peu éloignée. Si l’on ne rencontre pas cette position, l’on fera arriver l’eau dans l’étang par un petit canal qui soit ou très-profond ou cou-

  1. Pour faire ces gâteaux, on réduit l’orge en bouillie, on y mêle le sang de bœuf et l’on jette le tout sur une planche ou sur une table garnie d’un rebord. Quand cette espèce de pâte est refroidie, on la coupe en petits morceaux que l’on fait sécher, et que l’on garde pour s’en servir au besoin.