Page:Rudder - Anton Bruckner.pdf/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

longtemps les enivrantes ovations. Revenu à Vienne, il se remit à la symphonie et publia la Deuxième en ut mineur (éd. Doblinger, Vienne) en 1872. Vainement il la présenta à la Philharmonie, la seule société symphonique capable d’en donner une bonne exécution. Elle fut refusée et déclarée injouable. Bruckner se résigna, attendit et dirigea lui-même sa nouvelle symphonie au concert donné à l’occasion de la fermeture de l’Exposition de Vienne en 1873. Mais hélas ! il avait de puissants ennemis, et le pire d’entre eux était certainement Hanslick, le fameux critique antiwagnérien, qui, précisément, ne pardonnait pas au maître autrichien son amitié et son admiration pour Wagner. Dans le compte rendu du concert, Hanslick s’arrêta au « numéro Bruckner », afin, disait-il, « de ne pas commémorer la honte faite à la salle de la Société musicale par l’exécution d’une œuvre pareille ». Le malheur fut que le terrible critique était pour ainsi dire maître de l’opinion à Vienne, et la flatteuse opinion de Herbeck ne sauva pas l’œuvre. À l’issue de la répétition générale, celui-ci, ému et transporté, s’était écrié : « Je ne vous ai point encore fait de compliment, mais je vous dis que, si Brahms était capable d’écrire une pareille symphonie, la salle entière croulerait sous les applaudissements. »

Malgré Hanslick, Bruckner fut chargé d’un cours de théorie musicale à l’Université de Vienne, et, au milieu des turbulents étudiants, ses « chers messieurs Gaudea-musern », comme il les appelait familièrement, il passa quelques-unes des meilleures journées de sa vie. Sa leçon était souvent entrecoupée d’anecdotes ayant trait à ses voyages à Londres ou à Paris, à ses visites à son grand ami Wagner, dont il parlait comme d’un dieu. Il lui arrivait aussi parfois d’entonner un petit air qui lui passait par la tête, jouait au piano un fragment d’une nouvelle œuvre, et, au milieu de ces jeunes gens, lui aussi se sentait jeune et était heureux. Son cours était d’autant plus réjouissant, qu’il se servait du pittoresque dialecte de la Haute-Autriche et qu’il donnait à ses explications et définitions la forme la plus originale, la plus imprévue, la plus imagée.

(À suivre)
may de rudder.


Chronique de la Semaine


PARIS
CONCERTS DU CONSERVATOIRE

Impossible de rêver programme plus séduisant que celui de la Société des Concerts le 28 décembre : peu d’œuvres, mais toutes d’une qualité rare et prenant comme un lustre nouveau du seul fait de leur rapprochement.

La symphonie en mineur de Schumann, vibrante, vivante, aux ingénieux retours de thèmes, classiques et romantiques à la fois, fut jouée avec une chaleur dans la précision et une netteté dans la fougue dignes de tous les éloges. Dans Siegfried-Idyll, je n’admirai, pas moins avec quel art M.  Marty, par d’heureuses oppositions de nuances et d’habiles souplesses de mouvement, sut éviter l’impression un peu monotone que pourrait engendrer le retour fréquent des mêmes motifs.

Que dire de l’Oratorio de Noël de M.  Saint-Saëns ? Ah ! la jolie, fraîche et délicate musique, si franche, si sincère et de tant de séduction ! Il faudrait tout citer, depuis le récit du début, d’une couleur si archaïquement biblique jusqu’au chœur final, Tollite hostias, si fier d’allure et de si belle sonorité. La perle de cet écrin est d’ailleurs le trio Tecum principium, où l’emploi de quelques procédés italiens produit le plus puissant effet et qui fut bissé d’acclamation. Ajoutons qu’il est difficile d’entendre cet oratorio mieux interprété : le soprano absolument exquis de Mlle  Leclerc, le contralte noble et puissant de Mme  Marty, le chant et la diction impeccables de M.  Cazeneuve, la voix chaude de M.  Daraux, aux douceurs de velours, se succédèrent ou s’unirent aussi parfaits dans les soli que dans les ensembles. L’accueil du public fut enthousiaste, et à très juste titre. Et ne doit-on pas, en effet, remercier le Conservatoire de nous avoir donné intégralement une œuvre si française et que l’on a si rarement l’occasion