Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 17, trad Golbéry, 1827.djvu/10

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leurs frères, ces infortunés éclatent parfois en cris douloureux ; mais, en général, le Nègre fait preuve dans ces circonstances d’une telle indifférence ou d’un tel empire sur ses sentimens, qu’on ne peut que s’en étonner, et qui semble surtout inexplicable, quand on rapproche cette conduite de l’attachement qu’ils témoignent dans la suite pour ceux auxquels ils sont liés par le sang.

Le premier soin de l’acheteur est de procurer à son nouvel esclave quelques vêtements qui lui plaisent : la toile bigarrée qu’on lui noue autour des hanches, la veste de laine bleue et le bonnet rouge qu’on y ajoute, ne contribuent pas peu à rendre plus agréable la transition du Nègre vers son nouvel état. On lui donne encore une grande couverture de laine grossière, qui lui sert à la fois de couche et de manteau, et dont les couleurs tranchantes, le jaune et le rouge, lui plaisent beaucoup. On a soin aussi, pendant le voyage du marché à la plantation, de maintenir les esclaves en bonne humeur, en les traitant et en les nourrissant bien. Souvent on voit arriver à la halte, appelée Rancho, le colon, qui prend en croupe l’esclave fatigué, ou qui conduit par la bride le cheval qui le porte.

À l’arrivée dans la plantation on confie l’esclave à la surveillance et aux soins d’un autre plus âgé et déjà baptisé. Celui-ci le reçoit dans sa hutte et cherche à lui faire, peu à peu, prendre part à ses propres occupations domestiques ; il lui apprend aussi quelques mots portugais. Ce n’est que quand le nouvel esclave est entièrement rétabli des suites de la traversée, qu’on commence à le faire participer aux travaux agricoles des autres. Alors c’est son premier protecteur qui l’instruit, et pendant long-temps encore on a égard à son inhabileté ou à sa faiblesse. Toutes ces précautions allègent beaucoup l’entrée de l’esclave dans sa nouvelle condition ; il n’y a donc pas lieu de s’étonner, si les Nègres sont en général assez contens et s’ils oublient bientôt leurs affections antérieures. Cela est d’autant moins surprenant, qu’il en est beaucoup parmi eux qui ont été esclaves dans leur patrie, où on les traitait plus mal qu’en Amérique.



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