Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 18, trad Golbéry, 1827.djvu/5

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l’un des commandemens de l’Église catholique qui a été le plus souvent blâmé comme abusif et pernicieux, est, par ce moyen, devenu un véritable bienfait pour les esclaves, et quand le gouvernement portugais crut devoir satisfaire aux progrès des lumières et prendre des mesures pour diminuer le nombre des fêtes, cette innovation ne reçut pas l’approbation des hommes les plus éclairés du Brésil ; ils disaient avec raison que ce qui pouvait être un bienfait en Portugal, n’était au Brésil qu’une cruauté envers les esclaves. Il n’y a rien à répondre à cela, sinon que cette contradiction même est une preuve de l’absurdité de tout ce système. Quoi qu’il en soit, les huttes des esclaves contiennent à peu près tout ce qui dans ce climat peut être appelé nécessaire. Ordinairement ils possèdent de la volaille, des porcs, quelquefois même un cheval ou un mulet, qu’ils louent avec avantage, parce que la nourriture ne leur en coûte rien.

En général, les colons favorisent les mariages entre leurs esclaves ; car ils savent par expérience que c’est le meilleur moyen de les attacher à la plantation, et la plus forte garantie de leur bonne conduite. Toutefois on ne peut nier qu’il n’y ait beaucoup d’exceptions à cette règle, que souvent même, par leurs exemples, les maîtres amènent le déréglement des mœurs des esclaves, et que les rapports entre ceux du sexe féminin et ceux du sexe masculin rendent impossible l’observation sévère de la morale ou la consciencieuse persévérance dans la fidélité conjugale.

Telle est, en général, la position des esclaves nègres dans les plantations du Brésil ; mais il est bien entendu qu’elle présente une infinité de gradations et de modifications, et qu’en dernier ressort, le bien-être ou le mal-aise de l’esclave dépend toujours du caractère personnel ou des caprices de leurs maîtres, et peut-être beaucoup plus encore de ceux de leurs surveillans immédiats. Lorsque l’on considère tout ceci avec connaissance de cause, sans passion ni préjugés, on acquiert de plus en plus la conviction que d’une part les suites affligeantes que paraît nécessairement entraîner pour les Nègres l’esclavage consacré par les lois dans tout ce qu’il a de plus inhumain, sont cependant beaucoup adoucies par l’influence toute-puissante des intérêts personnels, par celle de la raison, de l’humanité, de la religion ; et que, d’autre part, les lois qui ont été faites pour protéger les esclaves contre les maîtres, n’ont que peu ou point d’influence sur le sort des premiers, leur observation n’ayant pas non plus d’autre garantie que ces élémens moraux constitutifs de la société civile, qui finissent toujours par se réunir à ce que l’on appelle l’opinion publique : c’est le seul tribunal que pourrait réellement redouter le maître par rapport à sa conduite envers l’esclave. On peut donc s’égarer également, soit en admettant à priori l’existence réelle de toutes les