Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 19, trad Golbéry, 1827.djvu/7

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Une fois affranchis, les Nègres d’une plantation s’établissent ordinairement dans son voisinage ; ils y cultivent un petit domaine que leurs anciens maîtres leur concèdent souvent pour un très-léger fermage, ou même gratuitement ; ils travaillent de plus à la journée. Les bons ouvriers, et particulièrement les surveillans des sucreries, continuent à faire leur métier dans les plantations voisines en qualité d’ouvriers libres. Après la récolte des cannes à sucre, ils entreprennent les diverses préparations à exécuter, et offrent leurs services partout où l’on manque, soit des ustensiles nécessaires, soit de directeurs assez exercés. De la sorte ces anciens esclaves peuvent en peu de temps parvenir à une grande aisance.

Dans les villes, les Nègres libres sont répartis dans les classes inférieures de la population ; ils y sont ouvriers, marchands, journaliers. Le nombre de ceux, qui ont réussi à s’élever au rang de bourgeois aisés, de négocians ou de propriétaires, est fort peu considérable ; néanmoins il leur est facile de gagner leur vie, car au Brésil, ainsi que dans tous les pays où l’esclavage existe, le taux des journées est très-élevé, et l’on recherche fort les ouvriers habiles.

La population noire libre est à beaucoup d’égards, et surtout par son avenir, l’une des classes les plus importantes des colonies. Cela est vrai surtout des Créoles proprement dits, des Nègres nés en Amérique. En les comparant à ceux d’Afrique, on acquiert la consolante certitude que la race africaine, nonobstant les tristes circonstances qui accompagnent sa translation dans le Nouveau-Monde, y gagne beaucoup sous les rapports physiques et moraux. En général, ces Créoles sont des hommes très-bien faits et très-robustes ; ils sont résolus, actifs et beaucoup plus tempérans que les Nègres d’Afrique. Ils accordent une certaine préséance aux blancs dans leurs relations sociale, mais somme toute, c’est plus au rang qu’à la couleur qu’ils ont voué cette déférence. De leur côté ils ont aussi une juste fierté fondée sur la conscience de leurs forces et sur le sentiment de leur liberté : ils sont d’autant plus faciles à blesser et d’autant plus défians à cet égard, qu’ils savent que leur couleur est celle des esclaves. Ils tiennent beaucoup à ce que dans les plus petits détails de la vie on ne les traite jamais comme les esclave, à ce qu’on n’oublie point leur qualité d’hommes libres. Lorsqu’un blanc leur montre de la franchise et des égards, lorsqu’il ne fait aucune différence de couleur, ils saisissent toutes les occasions de lui rendre des services et de lui témoigner de la considération : au contraire, toute allusion méprisante à leur couleur excite leur orgueil et leur colère, chose qui n’est aucunement indifférente ; pour se procurer satisfaction, ils ne manquent pas d’audace. En pareille occasion les Créoles ont coutume de répondre au sarcasme :