Page:Rugendas - Voyage pittoresque dans le Brésil, fascicule 9, trad Golbéry, 1827.djvu/4

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la considération que lui donnaient ses vertus et sa position sociale. Depuis lors, au moyen d’une légère rétribution pour le trésor royal, l’importation d’esclaves noirs fut admise dans le système colonial espagnol. Une philanthropie mal entendue a fait un crime de cette mesure, tant au généreux las Casas qu’au gouvernement espagnol, sans réfléchir que ce que pouvait avoir de blâmable était la faute du siècle et non celle des individus. Il leur reste le mérite d’avoir profité d’usages établis long-temps avant eux ; d’usages indépendants de leur volonté, pour éviter un mal nouveau et pour atteindre un bien qui était possible. Il ne serait pas juste de juger les intentions et les vues des auteurs d’une mesure d’après les suites qu’elle a entraînées plus tard. Par elle-même cette mesure n’avait rien qui pût l’empêcher d’être un bienfait pour les Européens, pour les Indiens et pour les Nègres eux-mêmes ; et si elle n’a pas eu pour effet d’arrêter l’anéantissement successif des habitants primitifs ; si dans ce moment les Européens éprouvent plus d’inconvénients qu’ils ne recueillent d’avantages de la présence des populations noires, il est certain néanmoins, cela dût-il paraître un paradoxe, il est certain, qu’à tout bien considérer, les Nègres gagnent à leur translation en Amérique, et que, vu la situation actuelle de l’Afrique, leur position est préférable à ce qu’elle serait dans cette contrée : du moins cela est-il hors de doute, quant aux colonies espagnoles et portugaises ; enfin, l’Amérique ouvre aux noirs des voies de civilisation, que l’on ne pourrait même aujourd’hui espérer d’établir en Afrique. Notre but n’est pas de donner ici l’histoire du commerce des esclaves qu’il nous suffise de dire que peu à peu toutes les nations de l’Europe y prirent part, comme on les vit peu à peu s’établir dans le Nouveau-Monde, et surtout dans les Indes occidentales. Les Allemands eux-mêmes, quoiqu’ils n’eussent avec ce nouveau monde aucune relation immédiate, encoururent à cet égard des reproches, et sous Charles-Quint plusieurs d’entre eux ont fait le commerce d’esclaves en Amérique. Herrera en cite deux, à raison des nombreuses plaintes qui de tous côtés s’élevaient contre leur avarice et leur cruauté : ce sont Henri Lieger et Jérôme Sayler.

On peut se faire une idée approximative du nombre de Nègres arrachés à l’Afrique depuis la découverte de l’Amérique, si l’on réfléchit que, pendant les dix dernières années, le Brésil à lui seul a reçu annuellement une importation de 80 000 Nègres. Vraisemblablement ce nombre doit être considéré comme maximum, car elle n’a dû s’accroître que lentement et à proportion de l’augmentation de la population blanche et de la culture des colonies. La proportion actuellement existante entre la population noire et la population blanche, entre les hommes libres et les esclaves de l’Amérique, importe plus à connaître que le compte exact de tous les Nègres qui y ont été amenés ;