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Page:Ruskin - La Couronne d'olivier sauvage.djvu/38

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32 LA COURONNE D’Ol.lVIER SAUVAGE de dépense, un sujet de ré flexion Leaiicoup plus important pour moi que ne l’est pour vous la construction d’une nouvelle Bourse. Mais vous estimez avoir en somme le droit de vous montrer exigeants pour votre argent. A’ous savez qu’il y a par le monde bon nombre de styles d’architecture fort différents ; vous avez entendu parler de moi, entre autres, comme d’un marchand de modes arcliitecturalcs : ot vous me faites demander pour vous indiquer la dernière mode et vous dire quel est, dans nos maga¬ sins, à l’heure actuelle, l’article le plus nouveau cl le pins seyant en matière d’édiflccs. Or, pardonnez-moi ma franchise, vous ne pouvez avoir de bonne architecture en consultant simplement les gens en passant. ’fonte bonne architecture est l’expression de la vie et du caractère national ; elle est engendrée par la puissance d’un goût national ardent, on d’iin liesoin de beauté. Et je voudrais vous voir réflé¬ chir un peu à la profonde signilication de ce mot « goût ». J’ai dit ailleurs que le bon goût est essentiellement une qualité morale et jamais aucune de mes aflirmations n’a été plus sérieusement, ni pins fréquemment discutée que celle-là. « Non, disent beaucoup de mes contradicteurs, le goût est une chose, ta morale en est une autre. Dites-nous ce qui est joli ; nous ne demandons pas mieux ; mais ne nous prêchez pas de sermons. » Pei-mettcz-moi doue de consolider un peu ce vieux dogme tout personnel. Le goût n’est point seulement une partie ou un trait caractéristique de la morale — c’est la seule morale. La première et la dernière question, la pierre de touche la plus sûrement révélatrice pour juger tout être vivant, c’est : « Qu’aimez-vous ? » Dis-moi ce que tu aimes et je te dirai qui tu es. Sortez dans la rue demander au premier homme et à la première femme que vous rencontrerez quel est leur « goût », s’ils répondent en toute sincé¬ rité, vous les connaîtrez, corps et âme. « Toi, l’ami en haillons, à la démarche chancelante, qu’aimes-lu ? ». « Une pipe et un demi- selier de gin ? ». Je te connais. « Vous, ma brave femme, au pas pressé et de mise soigneuse, qn’aimez-vous ? » « Un âtre sans poussière, une table reluisante avec mon mari assis en face de moi et un enfant sur les bras ». Bien, je vous connais aussi. « Vous, fillette aux cheveux d’or et aux yeux doux, qu’aimez-vous ? » «Mon serin, et courir au milieu des jacinthes dans les bois. »