Page:Ruskin - Les Matins à Florence.djvu/42

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discussions relativement peu importantes, et ne trouvent plus, pour caractériser la portée intime de l’œuvre décrite, que quelques paroles d’éloge ou de blâme d’une banalité désespérante ou d’un subjectivisme prétentieux. Enfin, le xiiie et le xive siècles italiens, dont Ruskin s’occupe presqu’exclusivement, constituent, faute de documents sérieux, l’une des périodes les plus confuses de l’histoire de l’art. Pour toutes ces raisons, il y a, dans ce guide, un certain nombre d’attributions qui demandent à être rectifiées, soit que de récentes découvertes critiques aient modifié l’opinion généralement admise en 1875, soit que Ruskin ait préféré se rallier à l’opinion traditionnelle, transmise par Vasari sous une forme aimable et anecdotique, plutôt qu’à celle des érudits de l’époque dont le style scientifique et l’imperturbable assurance lui étaient souverainement antipathiques.

Les lecteurs qui auront bien voulu me suivre jusqu’ici comprendront combien cette question présente, au fond, peu d’importance.

Il ne faut pas oublier que ces erreurs — si erreur il y a — se trouvent reproduites dans la plupart des guides français les plus répandus. Ruskin est, plus que tout autre, excusable d’avoir quelque peu négligé ces questions de fait, ces questions de personne, lui qui a si merveilleusement réussi à nous exposer le fond même de cet art primitif, qui a suffisamment aimé ces vieux maîtres pour revivre, en quelque sorte, en eux, et pour nous dicter, par leur bouche, les préceptes d’art auxquels ils ont soumis leur main, les lois morales auxquelles ils ont soumis leur cœur. Peu importe, en somme, qu’une œuvre soit de Simone de Sienne ou de Lippo Memmi, de Cimabue ou de Duccio, si la même flamme de charité et de génie qui brûlait le cœur de l’un vivifiait aussi l’amour de l’autre. Hésiterez-vous un instant entre le critique érudit qui s’est usé les yeux à déchiffrer de vieux textes, concernant des œuvres qu’il ne peut plus voir, et le maître génial qui s’est usé le cœur à chérir le même Dieu qui inspira l’artiste et qui, de cette cime, nous crie sa pensée, à travers le brouillard, comme un guide hélant un voyageur perdu ?