Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/106

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comptoir et vitré dans le haut. Dans les boutiques pauvres, il reste ouvert jusqu'en bas et les marchandises sont posées en plein air sur des bancs et sur des tables. La lumière ne pénètre qu'à l'entrée de la boutique ; le reste est plongé dans une obscurité que l'œil ne pourrait percer, si elle n'était généralement éclaircie par les faibles rayons d'une petite lampe posée tout au fond, devant une estampe représentant la Vierge : cette lampe et cette estampe sont plus ou moins décoratives, suivant le degré de piété du boutiquier. Chez la fruitière, où les verts melons sont rangés sur le comptoir comme des boulets de canon, la madone a un autel de feuillage. Dans la « Vendita Frittole e Liquori », la Vierge, humblement posée derrière une chandelle, sur une planche noire, préside à des mélanges d'ambroisies d'une nature plus que douteuse ; mais, quelques pas plus loin, là où on offre : « Vino Nostrani a soldi 22-28 », la Madone brille dans toute sa gloire, flanquée de 10 ou 10 tonneaux de la récolte d'il y a trois ans, de nombreuses bouteilles de marasquin et de deux superbes lampes : le soir, lorsque les gondoliers viendront ici boire, sous ses auspices, le gain de leur journée, elle aura un candélabre allumé.

Un mètre ou deux plus loin, nous dépassons l'hôtellerie de l'Aigle Noir et, en jetant un coup d'oeil à travers sa porte de marbre entr'ouverte, nous voyons se dessiner sur le mur, l'ombre d'une vigne appuyée contre un vieux puits sur lequel est sculpté un bouclier pointu.

Nous arrivons par le pont et le Campo San Moïse à l'entrée de la place Saint-Marc appelée « la bouche de la Place » (la Bocca di Piazza) dont le caractère vénitien est presque détruit, d'abord par l'horrible façade de San Moïse — que nous examinerons une autre fois — puis, par la moderne transformation des boutiques voisines de