Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/140

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de l'illustrer autrement qu'en m'en référant à l'œuvre elle-même. Si la critique architecturale marche aujourd'hui si loin derrière les autres, c'est qu'il est impossible d'illustrer fidèlement une œuvre d'architecture. Les reproductions de tableaux sont à la portée de tous, mais il n'y a rien à la « National Gallery » qui ressemble à Saint-Marc ou au Palais-Ducal et aucune image fidèle n'en est possible dans un livre comme celui-ci. Rien d'ailleurs n'est plus rare qu'une bonne illustration architecturale ; quant à la parfaite elle n'existe pas. Comment rendre l'œuvre du ciseau faite pour être vue à une certaine distance ; la singulière confusion répandue au milieu de l'ordre; l'incertitude au milieu de la décision et le mystère au milieu de l'alignement régulier ? Tous ces résultats de la distance, ainsi que la parfaite expression des particularités du dessin, demanderaient l'habileté d'un admirable artiste, dévouant à son œuvre la plus scrupuleuse conscience — ce qui ne s'est pas encore rencontré. Il faudrait, de plus, pour chaque construction importante, des volumes de planches achevées avec un soin extrême. Il est impossible à un dessin quelconque de donner une juste idée de Saint-Marc, et du Palais Ducal, surtout de Saint-Marc, car l'effet qu'il produit tient à la délicatesse infinie de ses sculptures et surtout à sa couleur — la plus subtile, la plus variée, la plus intraduisible couleur du monde — celle du verre, de l'albâtre transparent, du marbre poli, de l'or incrusté. Il serait moins hardi d'essayer de peindre le pic d'une montagne d'Ecosse avec ses bruyères pourpres et ses blanches campanules fleuries, ou bien une clairière, dans une forêt du Jura, tapissée d'anémones et de mousses, qu'un simple portique de Saint-Marc[1].

  1. Les deux plus charmants ont été arrachés et remplacés par de basses imitations dues aux soins des Italiens modernes!