Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/150

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période, peut être le plus utile à la religion. Je me trouve en présence d'un grand fait: celui de n'avoir jamais rencontré un chrétien, profondément préoccupé du monde futur et — autant qu'en peut juger la clairvoyance humaine — parfait et juste devant le Seigneur, qui se souciât le moins du monde de l'Art. Les quelques dignes chrétiens que j'ai connus, aimant l'art avec passion, avaient, en eux, un courant de pensées attachées au monde qui les conduisait à d'étranges misères, à des doutes qu'ils qualifiaient eux-mêmes de défaillances dans le devoir. Ces hommes sont peut-être plus nobles que ceux dont la conduite est plus impeccable; c'est par leurs sentiments plus tendres, la vision la plus large de leur âme qu'ils sont entraînés dans des combats et dans des craintes plus cruels que n'en éprouve l'homme à vue plus courte qui, hardiment, met sa main dans celle du Seigneur et marche avec Lui. Si, par hasard, un de ceux-là éprouve une émotion d'art, il est difficile de décider d'où aura pu lui venir cette impression : ce sera parfois d'un lieu commun théâtral, plus souvent encore d'un faux sentiment. D'après moi, les quatre peintres qui ont eu et qui ont encore le plus d'influence sur l'esprit des protestants, sont : Carlo Dolci, Guerchin, Benjamin West et John Martin. Raphaël, dont on parle tant, est, je crois, rarement admiré par des esprits pieux ; encore moins son maître et tous les peintres vraiment religieux de jadis ; mais une Magdeleine de Carlo Dolci ou un saint Jean du Guerchin, ou une illustration des Écritures par West, ou bien encore un nuage noir traversé par un éclair, de Martin, manque rarement de produire une impression très profonde pour notre temps.

Il y a, pour cela, des raisons très plausibles. La principale est que tous les peintres réellement religieux