Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/187

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perte de mille ducats ne put empêcher de proposer ce qu’il crut utile au bien de l’État.

Le prétexte pour formuler cette motion fut fourni par l’incendie qui, en 1419, attaqua, à la fois, l’église Saint-Marc et la portion du palais donnant sur la Piazzetta. Je cite, pour ce qui s’ensuivit, le récit de Sanuto :

« On se mit donc, en toute diligence et grand soin à réparer et à orner somptueusement, d’abord la maison de Dieu ; pour la maison des Princes, on marcha moins vite, car il ne plaisait pas au Doge (Tomaso Mocenigo), de la réparer dans sa forme primitive, et la parcimonie des vieux Pères était si grande qu’on ne pouvait la rebâtir plus belle. La loi, d’ailleurs, condamnait à une amende de mille sequins celui qui proposerait de jeter bas le vieux palais et de le reconstruire plus richement, ce qui occasionnerait une trop forte dépense. Mais le Doge, qui avait l’âme généreuse et qui mettait l’honneur de sa ville au-dessus de tout, fit porter les mille ducats dans la chambre du sénat et proposa de rebâtir le palais, disant que, puisque le feu avait, en grande partie, détruit l’habitation ducale, (non seulement son palais particulier, mais aussi les bureaux des affaires publiques), on devait considérer cet événement comme un avertissement du Ciel d’avoir à rebâtir le palais plus dignement, dans un style approprié à la hauteur où, par la grâce de Dieu, était parvenue la puissante Venise. Il ne proposait cela ni par ambition, ni par intérêt personnel : pour l’ambition, il pensait avoir prouvé, au cours de sa vie, qu’il avait traversé de nombreuses années sans lui obéir ni dans les affaires de la ville, ni dans ses démêlés avec l’étranger; il avait uniquement pensé, d’abord à la justice, puis au bien du pays et à l’honneur du nom vénitien ; quant à ce qui regardait son intérêt particulier, il n’aurait pas,