Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/250

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qu’elles sont ; l’art les considère exclusivement d’après l’impression qu’elles produisent sur le sentiment et sur le cœur de l’homme. Sa mission est de représenter les apparences des choses et d’augmenter leur impression naturelle sur les êtres vivants, tandis que l’œuvre de la science consiste à remplacer l’apparence par le fait, l’impression par la démonstration. Tous deux se préoccupent de la vérité: l’un, de la vérité d’aspect; l’autre, de la vérité essentielle. L’art ne représente pas les choses faussement, il les reproduit telles qu'elles apparaissent aux hommes. La science étudie les relations des choses entre elles, tandis que l’art étudie leurs relations avec l’homme, ne posant qu’une seule question à tout ce qui lui est soumis, mais la posant impérieusement : il veut savoir ce que chaque chose fait éprouver aux yeux et au cœur de l’homme et ce qu’il en peut résulter.

Tel étant le seul genre de vérité recherchée par l’art, il ne peut l’obtenir que par la perception et par le sentiment ; aucunement par le raisonnement ou par l’opinion des autres. Rien ne doit s’interposer entre la nature et l’œil de l'artiste, entre Dieu et l’âme de l’artiste. Aucune supposition, aucun on-dit, — fût-il des plus subtils et des plus sages, — ne doit surgir entre l’univers et le témoinage apporté par l’artiste à la nature visible. Tout le mérite de ce témoignage, sa pureté, sa puissance dépendent de l’assurance personnelle de celui qui l’émet, sa victoire tient à la véracité du mot : vidi.

La fonction de l’artiste, en ce monde, est d’être une créature voyante et vibrante, un instrument si tendre, si sensitif, qu’aucune ombre, aucune lumière, aucune ligne aucune expression fugitive dans les objets visibles ne puisse être oubliée ou se flétrir dans le livre de mémoire. Son rôle n’est pas de penser, de juger, d’argumenter ou de savoir : le cabinet de travail, la barre du juge, la