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Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/259

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suis un homme de science qui ne travaille pas pour le vulgaire, mais uniquement pour l’Académie et la Cour. »


En un moment, l’instinct du monde comprit cela : les formes classiques, soigneusement précises, s’adaptant merveilleusement aux besoins de l’État, firent les délices des princes et des courtisans. Le style gothique était bon pour le culte de Dieu ; celui-ci convenait au culte de l'homme. Le Gothique pénétrait les cœurs, il était universel comme la nature; il pouvait élever un temple à la prière de tous ou frisonner dans l’escalier du pauvre, ouverts à tous les vents : la nouvelle architecture ne frissonnait pas; elle ne connaissait ni la soumission ni la pitié. Les grands de la terre l’admiraient et elle insultait les humbles dont elle méprisait les vulgaires matériaux, les toits de bois, les petites fenêtres irrégulières, les murs faits de pierres et de briques. Chez elle, tout était construit en pierres de taille : portes, fenêtres, piliers, escaliers ; tout était grand et placé dans un ordre majeslueux ; elle avait ses ailes et ses corridors, ses halls et ses jardins. Toute la terre lui appartenait, elle rejetait au loin, comme étant d'une plus basse espèce, aussi bien les grossières chaumières des montagnes que les rues fantaisistes du bourg ouvrier.

Elle s’adressait autant au luxe qu’à l'orgueil; non pas au sain luxe des yeux à qui la nature offre ses prairies peintes, ses forêts sculptées et ses ciels dorés que l’architecte, gothique a su reproduire dans ses décorations entrelacées, dans ses feuillages profondément creusés et dans les éblouissements de ses vitraux. La froide Renaissance ne pratiquait pas la modestie. Elle se tint à l'écart de tout ce qui était chaud et céleste ; cantonnée dans son orgueil, elle dédaigna ce qui était simple et bon, sa dignité lui interdisant tout ce qui était impulsif, humble ou