Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/73

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me remerciera de lui avoir suggéré des arguments sérieux propres à déterminer un choix encore hésitant, à justifier une préférence spontanée. Si, au contraire, je réussis à transformer en pierres de touche les pierres de Venise, si je découvre dans la maçonnerie de ses marbres un poison plus subtil que n'en dégagèrent jamais ses lagunes, si je prouve ainsi en quel mépris on doit tenir les écoles qui, en architecture comme dans presque tous les arts, eurent, pendant trois siècles, la prédominance en Europe, j'aurai mis en lumière la vérité la plus utile que j'aie jamais signalée.

Par exemple, j'ai dit que les protestants avaient méprisé les arts et que les rationalistes les avaient corrompus, mais que firent donc, entre temps, les catholiques romains ? Si, comme ils le prétendent, ce fut la papauté qui fit monter les arts à leur apogée, pourquoi, lorsqu'elle fut réduite à ses propres forces, n'a-t-elle pu les soutenir ? Comment en arriva-t-elle à céder le pas à l'engouement classique qui avait l'hérésie pour base, et n'opposa-t-elle pas d'entraves à des innovations qui réduisirent à une décoration d'art les anciennes manifestations de la Foi[1] ? Ne trouverons-nous pas que les catholiques romains, loin d'être les promoteurs de l'art, ne se sont jamais montrés, depuis qu'ils se sont séparés des protestants, capables d'une grande conception ? Aussi longtemps que, même dans sa corruption, aucun témoignage ne s'éleva contre l'Église, qu'elle conserva dans ses rangs

  1. C'est parfaitement vrai, mais mon ignorance de sectaire m'empêcha de distinguer la valeur vitale de cette vérité. Le protestantisme, tant qu'il resta chrétien et ne consista pas seulement à maintenir une opinion personnelle sur l'Evangile, ne pouvait pas se séparer de l'Eglise catholique. Les pseudo-catholiques devinrent eux-mêmes hérétiques et sectaires en répudiant les protestants, et l'Europe fut transformée en une vaste arène de combats de coqs par la lutte furieuse de ces deux partis anlichrétiens, tandis que, innocent et silencieux, sur les collines et dans les champs, le peuple de Dieu, laissé dans l'oubli, vivait et mourait dans la foi catholique.