Page:Ruskin - Les Pierres de Venise.djvu/76

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que celles des autres villes italiennes ; mais la distance voilait cette infériorité, compensée d'ailleurs par l'étrange aspect des tours et des murs qui semblaient sortir du milieu de la mer immense.

Il est, en effet, impossible à l’œil nu ou à l'imagination de saisir le manque de profondeur de la grande nappe d'eau qui étend, pendant des lieues, au nord et au sud, l'éclat de ses ondes, ni de se retracer le contour des îles étroites qui la bordent à l'est.

La brise salée, les gémissements des blancs oiseaux de mer, les amas de noirs herbages se séparant, et disparaissant sous le remous causé par l’envahissement régulier de la marée, tout faisait croire que c'était vraiment sur le sein du grand océan que la ville reposait avec calme. Non sur l'océan bleu, doux et semblable à un lac, qui baigne les promontoires napolitains ou qui sommeille à Gênes dans les rochers de marbre, mais sur une mer qui, bien que soumise à un étrange repos, a la sombre vigueur des vagues du nord, et dont la pâleur courroucée se transforme en un champ d'or bruni alors que le soleil descend derrière la tour de l'église abandonnée dans son île, et si bien nommée : « Saint-Georges-des-Algues-Marines ».

Comme le bateau s'approchait de la ville, la côte que le voyageur venait de quitter s'abaissait derrière lui et formait une ligne longue et triste, rompue de temps en temps par des saules ou par des broussailles : du côté qui semblait être son extrémité nord, les collines d'Arqua élevaient leurs amas de pyramides d'un pourpre foncé et balançaient leurs reflets sur la brillante lagune. Deux ou trois collines moins élevées s'étendaient à leurs pieds et, au delà, commençant par les pics escarpés qui dominent Vicence, la chaîne des Alpes fermait, au nord, l'horizon par sa muraille bleue et inégale qui allait s'évanouir