Page:Ruskin - Sésame et les lys.djvu/24

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nef, quelques-uns de ces gâteaux en forme de tours, protégés du soleil par un store, — « manqués », « Saint-Honorés » et « gênoises », — dont l’odeur oisive et sucrée est restée mêlée pour moi aux cloches de la grand’messe et à la gaieté des dimanches.

Puis la dernière page était lue, le livre était fini. Il fallait arrêter la course éperdue des yeux et de la voix qui suivait sans bruit, s’arrêtant seulement pour reprendre haleine, dans un soupir profond. Alors, afin de donner aux tumultes depuis trop longtemps déchaînés en moi pour pouvoir se calmer ainsi d’autres mouvements à diriger, je me levais, je me mettais à marcher le long de mon lit, les yeux encore fixés à quelque point qu’on aurait vainement cherché dans la chambre ou dehors, car il n’était situé qu’à une distance d’âme, une de ces distances qui ne se mesurent pas par mètres et par lieues, comme les autres, et qu’il est d’ailleurs impossible de confondre avec elles quand on regarde les yeux « lointains » de ceux qui pensent « à autre chose ». Alors, quoi ? ce livre, ce n’était que cela ? Ces êtres à qui on avait donné plus de son attention et de sa tendresse qu’aux gens de la vie, n’osant pas toujours avouer à quel point on les aimait, et même quand nos parents nous trouvaient en train de lire et avaient l’air de sourire de notre émotion, fermant le livre, avec une indifférence affectée ou un ennui feint ; ces gens pour qui on avait haleté et sangloté, on ne les verrait plus jamais, on ne saurait plus rien d’eux. Déjà, depuis quelques pages, l’auteur, dans le cruel « Épilogue », avait eu soin de les « espa-