Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/151

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Et de même qu’elles furent le premier don miséricordieux de la terre, elles en sont le dernier. Lorsque tous les autres services des plantes et des arbres nous sont devenus inutiles, les mousses délicates et le gris lichen commencent leur veille funèbre autour de la pierre tombale. Les bois, les fleurs, les herbes qui portent des présents ont rempli leur office pour un temps, mais celles-ci remplissent le leur pour toujours. Des arbres pour le chantier du constructeur, des fleurs pour la chambre de la mariée, du blé pour les greniers, de la mousse pour la tombe.

La note humaine donnée par ce dernier trait, en faisant réapparaître parmi les joies de la nature qui s’épanouit et qui oublie le souvenir de l’homme qui souffre et qui se souvient, entraîne encore ceux des lecteurs que la pure sympathie pour les beautés des plantes n’eût point assez sollicités. Car, avec Ruskin, la pitié pour les êtres manque rarement de venir troubler l’admiration pour les choses. Les fleurs ne lui cachent pas les hommes, — comme les roses d’Héliogabale. Les œuvres, même les œuvres d’art, ne lui cachent pas les ouvriers. Dans le fond d’un musée, en face des délicats ou grandioses artifices que les siècles passés entassèrent pour notre plaisir, il pense au siècle présent, et lorsque l’injustice triomphe et que monte l’étiage des misères, il se détourne des images et pousse contre les réalités un cri de colère qui va saisir ceux que les cris d’extase n’ont pas touchés.