Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/161

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continuité enveloppante, l’autre pour le tenir en haleine par sa capricante mobilité. Dans la première moitié dé son œuvre, de 1843 à 1860, c’est la première de ces deux formes qui domine, inspirée de l’Ecclesiasiical Polity de Hooker, de George Herbert, de Johnson et de Gibbon. Ce sont de grandes phrases aux souples replis, aux périodes sonores, contenant jusqu’à 619 mots et 80 signes intermédiaires de ponctuation, se déroulant lentement comme ces longues lames que ne redoutent pas les nageurs et qui s’infléchissent et se relèvent tour à tour, l’une poussée par l’autre, jusqu’à ce que la dernière enfin vienne s’effondrer sur le rivage en y laissant à peine, de toute l’écume soulevée et de tout le fracas retenti, un peu de sel amer.... Et au fond de ce fracas, une science de la mélodie, de la cadence, qui, s’il faut croire M. Frédéric Harrison, « n’a pas de rivale dans toute la littérature anglaise ». Après 1860, tout change. On ne sent plus la passion théorique du jeune homme qui, ayant la vie devant lui, prend le temps de combattre en de belles attitudes. On sent la volonté du lutteur qui veut porter coup. Plus de grandes vagues : la lame est courte et dure. Une grêle de petites phrases bien ajustées tombe sur le lecteur. Et pourtant, elles reflètent, dans leur exiguïté, toutes les choses aimées de la terre et du ciel.