Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/30

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. . . . . . . . Tout ce que l’Art peut faire
N’est rien devant toi. La main de l’homme
A dressé des montagnes de pygmées, mais des tombes de géants.
La main de la Nature a dressé le sommet de la montagne,
Mais n’a jamais fait de tombes.

À Herne Hill il passe de longs mois d’hiver à rêver devant des gravures de Turner illustrant l’Italie de Rogers ; et un désir violent entre en lui de voir dans quelles alignas partes materiæ le grand visionnaire a puisé ses visions. Il fait des collections de minéraux dans les vallons de Clifton, à Matlock dans le Derbyshire, observe des reflets, calcule des hauteurs. Et ce qu’il perçoit ainsi avec son esprit étonnamment précoce et rempli, il l’aime avec son cœur étrangement neuf et vide. Car pour sa famille il n’a point de tendresse. « Ma mère, dit-il, prenait son principal plaisir aux fleurs et elle était souvent à planter ou à tailler auprès de moi, au moins si je voulais me tenir près d’elle. Mais sa présence ne m’apportait ni contrainte, ni plaisir. Ayant souvent été laissé seul, je m’étais fait une pelite vie indépendante. » Et soixante ans après, il pousse ce cri douloureux : « Je n’avais rien à aimer ! Mes parente n’étaient, pour moi, en quelque sorte que des pouvoirs visibles de la Nature. Je ne les aimais pas plus que le soleil et la lune. » Et en dehors de sa famille, l’enfant ne connaît aucun être vivant. Même en voyage, les Ruskin ne prennent pas con-