Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/33

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désiré ce voyage. À Strasbourg, on s’était demandé si l’on irait à Bâle ou à Schaffhouse. Schaffhouse ! s’était-il écrié. « Ma supplication passionnée à la fin remporta, et le lendemain, de grand matin, nous vit trottant sur le pont de bateaux vers Kehl et dans la lumière du Levant, je me vois encore guettant la ligne de la Forêt-Noire qui s’élargissait et s’élevait comme nous traversions la plaine du Rhin. Les portes des montagnes ouvrant pour moi une nouvelle vie, qui ne devra jamais cesser qu’aux portes de ces montagnes d’où l’on ne revient pas... » Écoutons-le maintenant raconter sa première rencontre avec l’éternelle Beauté. Il semble, après cinquante-deux ans, que sa voix encore tremble :

Nous étions arrivés en ville dans la nuit, et aucun de nous ne semble avoir songé qu’on pût apercevoir les Alpes sans une excursion qui eût été un manquement aux règles religieuses du dimanche. Nous dinâmes à quatre heures comme d’habitude, et la soirée étant entièrement belle, nous sortîmes, mon père, ma mère, Mary et moi. Nous devons avoir passé quelque temps à voir la ville, car le soleil allait se coucher quand nous atteignîmes une sorte de jardin-promenade, à l’ouest de la ville, je crois, et bien au-dessus du Rhin, de façon à commander toute la campagne, au sud et à l’ouest. Nous regardions ce paysage, d’ondulations basses, bleuissant dans le lointain, comme nous aurions regardé un de nos horizons de Malvern dans le Worcestershire ou de