Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/75

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il ne s’est point privé d’écrire quand il s’est aperçu qu’elles ne l’étaient point. Partout où il a cru voir luire une lumière nouvelle, il a marché vers elle. S’étant parfois avancé sans prudence, il a reculé sans honte, n’ayant en vue qu’une chose : la vérité. Sa faiblesse serait le lot de bien des auteurs s’ils avaient sa franchise. Chacun de nous se contre-pense ; ne le blâmons pas trop s’il s’est contredit.

Mais voici où sa franchise devient bienfaisante. C’est lorsqu’elle lui ouvre les yeux sur les misères qui environnent la tour d’ivoire du dilettante, de l’esthéticien, et sur le devoir précis où il est de sortir et de les secourir. Nous avons vu le côté de la franchise qui mène à la diatribe : voyons celui qui mène à la charité. En mars 1863, se trouvant dans les Alpes, à Mornex, au milieu de paysages reposants et splendides, Ruskin s’interroge et se demande s’il a le droit de jouir en paix de sa passion pour la nature. Il écrit à un ami : « La solitude est très grande et cependant la paix dans laquelle je vis à présent est seulement semblable à celle où je me trouverais si j’étais enterré dans une touffe d’herbe sur un champ de bataille arrosé de sang, car si peu que je relève la tête, le cri de la terre est dans mes deux oreilles… Je suis très mal et tourmenté entre le désir du repos et de la vie heureuse et le sens de ce terrible appel du crime