Page:Ruskin et la religion de la beauté.djvu/81

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emporté mon Seigneur et je ne sais où vous l’avez mis.... » C’est au plus dur moment de cette torture incessante, mais inavouée, que, par un étrange hasard, l’amour vint le forcer à voir clair en lui-même et à faire de sa franchise l’usage qu’il redoutait le plus. Il était à Oxford. Une jeune femme pour laquelle son attachement était connu et qui passait même pour sa fiancée, se mourait. Elle avait des sentiments religieux qui s’étaient ravivés durant les dernières années de son existence et, depuis longtemps déjà, elle ne voulait plus songer au mariage projeté avec « l’incrédule ». Il demanda à la revoir. Mourante, elle lui fit faire, à son tour, cette question : « Êtes-vous au moins encore assez croyant pour dire que vous aimez Dieu plus que moi? » — Il regarda attentivement à l’horizon de sa pensée. Comme le marin durant une traversée obscure, il ne voyait briller aucun feu de salut, ni sur les rives du Presbytérianisme qu’il venait de quitter, ni sur celles du « Christianisme catholique[1] » où il allait aborder quelques années plus tard. Loyalement, héroïquement, il répondit : Non ! Et la porte resta fermée sur lui.

L’homme qui se dénonce à lui-même si franche-

  1. Dans le sens le plus large. Il est évident qu’il ne s’agit pas ici de l’Église catholique romaine.