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Page:Russell - Le Mysticisme et la Logique.djvu/30

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tion que chez l’homme instruit. Chez les chiens, elle dépasse probablement tout ce que l’on peut trouver chez l’homme. Mais ceux qui jugent que ces faits plaident en faveur de l’intuition devraient se remettre à vivre en sauvages dans les bois, à se peindre le corps et à se nourrir de ronces.

Examinons maintenant si l’intuition est aussi infaillible que le prétend Bergson. La meilleure preuve, à son avis, en est la connaissance que nous avons de nous-mêmes : cependant, la connaissance de soi est, proverbialement, à la fois rare et mal aisée. La plupart des hommes, par exemple, ont en eux des petitesses, des vanités et des envies, dont ils sont entièrement inconscients, quoique même leurs meilleurs amis les aperçoivent sans difficulté. Il est vrai que l’intuition entraîne une certitude qui fait défaut à l’intelligence : quand elle intervient, il est presque impossible de douter de sa véracité. Mais lorsque, à l’examen, elle se montre au moins aussi faillible que l’intelligence, la plus grande certitude subjective qu’elle emporte devient d’autant plus dangereuse qu’elle est plus décevante. Outre la connaissance de soi, un des plus remarquables exemples d’intuition est la connaissance que l’on croit avoir de ceux que l’on aime : le voile qui sépare les personnalités distinctes semble être levé ; et l’on croit voir dans l’âme d’un autre comme dans soi. Mais