Page:Rutebeuf - Oeuvres complètes, recueillies par Jubinal, tome I, 1839.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La Complainte de Constantinoble,
ou ci encoumence


LA COMPLAINTE DE CONSTANTINOBLE[1].


Mss. 7218, 7633.
Séparateur



Souspirant por l’umain lingnage
Et penssis au cruel domage
Qui de jor en jor i avient,
Vous vueil descouvrir mon corage[2],

  1. À la fin de ma Notice sur Rutebeuf, imprimée en 1834, et qu’accompagnait cette pièce ainsi que la précédente, j’ai dit que je plaçais la composition de La Complainte de Constantinoble à une date postérieure à l’année 1268. Je crois devoir modifier aujourd’hui cette opinion, et cela par plusieurs motifs. Le premier, c’est qu’une lecture attentive de la 3e strophe de cette pièce ne me permet pas de continuer à y voir une allusion à la perte d’Antioche, fait qui à lui seul empêchait de placer la date de notre pièce avant 1268, époque de la prise de cette ville par Bondoctar. Je trouve bien, il est vrai, dans la strophe en question, en y réfléchissant mûrement, une crainte vague sur les dangers que court cette sainte terre ; mais je vois par cela même la preuve qu’elle était encore aux mains des chrétiens. J’ai donc eu tort de reculer autant la date de la composition de La Complainte de Constantinoble.

    D’autre part, la prise de cette dernière ville par les Grecs hérétiques et sa séparation définitive de l’Église romaine avaient eu lieu la nuit du 25 juillet 1261, pendant laquelle Alexis Stratégopule, envoyé par Michel Paléologue contre Michel, despote d’Épire, se rendit maître du royaume de Baudouin avec autant de facilité que les croisés eux-mêmes en avaient trouvé à s’emparer, cinquante ans auparavant, de la cité reine du Bosphore. C’est donc peu de temps après 1261 que cette pièce dut être composée, et non après 1268. Cette opinion est d’autant plus probable que la 2e strophe de notre complainte, en disant que la Morée s’apprête à recevoir le choc, fait supposer qu’il n’y avait pas longtemps que Constantinople l’avait reçu.

  2. Corage, cœur, pensée ; animus.