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XV
PRÉFACE.

mille qui n’est ni malade ni finie il se trouve sans un denier et sans rien qu’il puisse mettre en gage. »

Dans La Complainte Rutebeuf notre trouvère est encore plus explicite : il se représente comme très-malade, couché dans un lit où il est resté étendu pendant trois mois sans voir personne ; sa femme pendant ce temps est dans un autre, enceinte de nouveau, et durant tout un mois elle tient l’enfant sur le chantier.

Puis, comme si ce n’était pas assez de tous ces maux, il nous apprend que Dieu l’a fait (je me sers de son expression) compagnon à Job ; « qu’il lui a enlevé d’un seul coup tout ce qu’il avait et l’a privé en même temps de son œil droit (celui justement avec lequel il distinguait le mieux), à tel point qu’il n’y voit pas assez de cet œil pour aller son chemin et qu’à midi il croit qu’il est nuit obscure. » Pour comble de bonheur la nourrice de son enfant veut de l’argent, sans quoi elle le renverra braire à la maison paternelle ; le propriétaire exige impérieusement le prix de son logis, dans lequel il n’y a pour ainsi dire plus rien, car la misère en a presque tout ôté ; bref l’espérance du lendemain, voilà les seules fêtes de l’infortuné poëte. Cependant, au milieu de ce déluge de maux, Rutebeuf est parfois plein d’une noble fierté qui doit le relever à nos yeux : il s’écrie qu’il n’est pas ouvrier des mains ; « je ne veux pas, dit-il, qu’on sache où je reste, à cause de ma misère ; ma porte