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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Tel est à peu près en substance, car j’ai retranché beaucoup de détails, et notamment l’épisode fort intéressant d’une course de cheval avec pari entre Aiol et Makaire de Losanne, le fond de cette chanson de geste. Malgré ses défauts, on conçoit que ce poëme, l’un des derniers qui aient été composés sur le cycle carlovingien, ait dû obtenir beaucoup de succès au 13e siècle. Cela me semble résulter au moins du vers de Rutebeuf, et de la citation suivante, empruntée à un jeu parti dont l’auteur n’est pas connu. Ce jeu parti, dont le sujet est cette question : Quel est le plus à plaindre, du jaloux sans motif ou de l’amant qui n’est pas jaloux de celle qui dédaigne sa poursuite, est adressé à Adam de la Halle, et le juge se nomme Grievilier. On le trouve dans le Ms. 7363. Voici la stance où il est question d’Aiol :

Adan, parmi grans tribous,
Conquist, tout en mendiant,
Et honneur et pais Aious.
Ce set bien cascuns ; mais quant
Hom a grant tere à tenir
Et si ne s’en set chavir,
Ains vit dolans, il a pis de moitie
Que cil qui en povreté mouteplie.

L’allusion faite par Rutebeuf prouve aussi (ce qu’une foule d’autres passages de ses œuvres viennent au reste confirmer) qu’il connaissait non-seulement bon nombre d’auteurs anciens qu’il cite dans ses poésies, mais encore qu’il était fort au courant de la littérature du moyen âge. Enfin, des deux vers qui ont amené cette longue digression ne pourrait-on pas inférer que saint Louis s’était occupé du roman d’Aiol et y avait donné beaucoup d’attention[1] ? Je vais plus loin : en argumentant d’après le texte même du vers de Rutebeuf,

Le roi tendra deçà concile,

  1. On a dit que saint Louis n’avait aimé que le chant des Psaumes et ne s’était jamais permis l’usage des chansons : je crois que ceci est exagéré. Joinville raconte qu’à la table de ce prince, les ménestriers récitaient leurs vers, chantaient des couplets, apportaient leurs vielles après manger, et que le saint roi attendait qu’ils eussent fini avant de faire dire les grâces. Ce-