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ET ÉCLAIRCISSEMENTS.

Covoitise qui fait les avocaz mentir,
Et le droit bestorner et le tort consentir.

Un peu plus haut on avait déjà trouvé dans la même pièce ce vers :

En l’ordre Saint-Benost c’on dit le bestournei[1].

Ce mot fait allusion à une tradition sur l’église de Saint-Benoit, que Legrand d’Aussy, qui avait pratiqué Félibien, Sauval, Dubreuil et les autres historiens de Paris, connaissait très-certainement[2]. Si donc il n’a pas compris cette expression bestourné, c’est qu’il l’a bien voulu.

Cela posé, je vais essayer de lever le voile dont Rutebeuf a malicieusement couvert les détails de sa satire.

Les premiers traits de Renart le Bestourné tombent directement, selon moi, sur Thibaut, roi de Navarre, qui, possédant la Brie et la Champagne (Rutebeuf désigne cette dernière par le mot le Vignoble), était en quelque sorte sires de tout l’avoir de monseignor Nobles, c’est-à-dire du roi, car dans le Roman du Renart ce mot désigne le roi des animaux. Les vers qui suivent confirment d’ailleurs cette supposition. Le reproche de s’être enrichi à Constantinople, c’est-à-dire d’avoir fait servir les Croisades à sa cupidité, s’applique très-bien à Thibaut de Navarre, dont la croisade de 1238, qui ne fut cependant ni heureuse ni productive, avait moins pour but l’intérêt du ciel

  1. On lit aussi dans La Resurrection du Sauveur (voyez le 2e volume
    de mes Mystères inédits du 15e siècle, page 346) :
    Je vois le monde bestourner.
  2. Le père Dubreuil, dans ses Antiquitez de Paris, dit que, sous le règne de François Ier, une partie de l’église Saint-Benoît avant été « bastie tout de neuf, le maistre-autel fut placé où estoit anciennement la porte de l’église, et à la place dudit autel fut basti un beau portail dans le cloître tel qu’il se voit aujourd’huy, et pour ceste raison ladite église a esté depuis nommée Saint-Benoist le bien tourné. »

    Elle s’appelait avant le bestourné, pris dans le sens de mal tourné, parce qu’à l’époque où l’on avait élevé l’église, l’autel, qui dans toutes les nefs chrétiennes est placé à l’orient, avait été construit au couchant ; mais, au 16e siècle, les choses ayant été remises dans l’ordre où elles auraient dû être placées naturellement, ce dicton changea en même temps que l’autel, et de mal tournée l’église s’appela bien tournée.