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COMPLAINTE OU CONTE DE NEVERS.

Et vaselages et proesce,
Vos ne fusiez pas si déserte.
Haï ! haï ! genz mal aperte !
La porte des cielz est overte ;
Ne reculeiz pas por peresce :
En brief tanz l’a or Diex offerte
Au boen Conte par sa déserte,
Qu’il l’a conquise en sa jonesce.

Ne fist mie de sa croix pile[1],
Si com font souvent teil .x. mile
Qui la prennent par grant faintize ;
Ainz a fait selonc l’Évuangile,
Qu’il a maint borc et mainte vile
Laissié por morir en servize
Celui Seigneur qui tot justize.
Et Diex li rent en bele guize
(Ne cuidiez pas que se soit guile),
Qu’il fait granz vertuz à devize :
Bien pert que Diex a s’arme prise
Por mettre en son roial concile.

Encor fist li Cuens à sa mort,
Qu’avec les plus povres s’amort :

  1. On sait que les croisés portaient, comme marque de leur engagement à aller combattre en Terre-Sainte, une croix d’étoffe sur leurs habits, et que les faces de nos anciennes monnaies s’appelaient d’un côté la croix, parce que souvent le signe de notre rédemption s’y trouvait, de l’autre la pile. C’est par allusion au premier et au dernier de ces usages que le poëte écrit que le comte de Nevers n’a pas fait de sa croix pile ; c’est-à-dire qu’il n’a pas pris la croix par amour du pillage, qu’il n’est pas allé à la croisade par amour du gain. (Voyez, pour compléter cette explication, le commencement de la pièce intitulée Renart le Bestourné.)