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LA BATAILLE DES VICES

Constantinoble, Rommenie[1] ?
Se sainte Yglise escommenie,

  1. Legrand d’Aussy a mis ici cette note : « Constantinople, prise par les Latins en 1204, avait été reprise en 1261 par Michel Paléologue. Ces mots au recouvrement de Constantinople* annoncent donc que c’est postérieurement à l’année 1261 que Rutebeuf composa sa satire. D’un autre côté, comme il écrivait sous saint Louis et que ce prince mourut en 1270, il s’ensuit qu’elle parut avant 1270, et que par conséquent il se trompe quand il dit qu’il y avait plus de soixante et dix ans que les deux ordres étaient institués. L’un est de l’an 1215 et l’autre de 1216. » Par le fait, le raisonnement de Legrand d’Aussy est juste, et le vers de Rutebeuf n’est pas exact ; mais Legrand d’Aussy avait, pour s’assurer de quelle époque datait la Bataille des Vices, un moyen bien plus simple que de chercher chicane à propos de quelques années à notre poëte ; car dire qu’il a composé sa pièce avant 1270 parce qu’il écrivait sous saint Louis et que ce prince mourut avant cette époque n’est pas un raisonnement fort concluant, attendu que notre poëte vécut et écrivit bien au-delà de l’époque précitée. Il fallait tout simplement, pour rendre cette preuve logique, parcourir la fin de la pièce, où il est dit que maître Chrétien était mort quand Rutebeuf écrivit sa Bataille. Or Chrétien mourut de 1269 à 1270, ce qui précise la date d’une façon inattaquable. Mais Legrand d’Aussy (et ce n’est pas un immense tort) ignorait ce que c’était que maître Chrétien. Nous avouons bien naïvement que nous ne le saurions peut-être pas davantage si notre projet de donner une édition de Rutebeuf ne nous avait fait étudier les querelles théologiques du 13e siècle. Mais ce que je pardonnerai moins volontiers au spirituel traducteur de nos fabliaux, c’est d’avoir mis à la fin de son analyse la note suivante : « À la suite de la satire de Rutebeuf le copiste du manuscrit en a par erreur inséré une autre, qu’il confond avec la première quoiqu’elle en soit distincte. Dans celle-ci les Jacobins, à la vérité, sont maltraités comme dans l’autre ; mais il s’agit de leur querelle avec l’Université et avec Guillaume de Saint-Amour, ce fameux champion qui combattit contre eux avec tant de courage et si peu de succès. Ce sujet, bien qu’analogue, n’a rien de commun avec la Bataille des Vices contre les Vertus. » Évidemment Legrand d’Aussy se trompe : tout le dernier alinéa de notre pièce en fait certainement partie intégrante et n’a point été ajouté là par le copiste. Il est même tout simple que Rutebeuf, qui vient à la fin de l’alinéa précédent de parler de Chrétien, parle au commencement de celui-ci de Guillaume de Saint-Amour, collègue du premier, et qui souffrit pour la même cause des persécutions encore plus grandes.

    * Legrand d’Aussy traduit ainsi ce vers :
    Que ce c’on secorust la terre.