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JUSQU’À L’ÂME

LUCIEN, regardant au dehors, parle comme dans un rêve. — Il l’emporte… Elle semble morte… Mais il a promis de la sauver… Qui nous sauvera, nous ?

Louise, relevant la tête. — Nous-mêmes. On n’est jamais sauvé que par soi-même.

Lucien. — Que pouvons-nous ? Nous voilà à la merci de je ne sais quelles circonstances, à la merci d’une haine… Si cette femme meurt, c’est affreux. Si par bonheur elle vit, comment nous défendre maintenant contre sa rancune ? D’elle dépendra jusqu’à ta liberté.

Louise. — Celui qui a du courage ne dépend ni des êtres ni des choses. On est toujours maître de soi. Quand on ne peut plus diriger sa vie, on meurt.

Lucien. — Quelles paroles absurdes !

Louise. — Il ne faut pas craindre de regarder les questions en face, mon ami. (Elle réfléchit un instant.) Celle-ci me paraît décidément insoluble dans la vie. Je dois mourir.

Lucien. — Oh ! Louise…

Louise. — Je ne veux ni être arrêtée, ni subir la générosité de cette femme. Je n’ai qu’un moyen de rester libre ; je le prends.

Lucien. — Oh ! Louise… Peut-être que tu ne seras même pas poursuivie. On la sauvera et tu étais — n’est-ce pas ? — en légitime défense.

Louise. — Certes… Même, je ne comprends rien à ce qui s’est passé… Les événements ont été si rapides… Brusquement, je vois cette femme devant moi, je sens un canon de revolver contre ma poitrine. Avant de savoir ce qui m’arrive, ce que je fais, ma main, obéissant à l’instinct, repousse l’arme… Par quelle étrange fatalité cette femme s’est-elle blessée elle-même ?…

Lucien. — J’étais bien sûr que ma Louise n’avait pas l’apparence d’un reproche à se faire.

Louise. — Qui me croirait ?… Aucun témoin… Et la haine, qui n’hésitait pas devant le meurtre, hésiterait-elle devant le mensonge ?

Lucien. — On aura confiance en ta parole.

Louise. — On dirait : « Tout mauvais cas est niable ! »… Non, je ne boirai pas cette lie ; je ne consentirai pas à cette lutte sans noblesse, à ce scandale…

Lucien. — Est-ce bien toi qui as prononcé ce dernier mot ? toi, à