Page:Ryner - Jusqu’à l’âme, 1925.djvu/22

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l’avez déjà imposée… plusieurs fois… cette souffrance… Les paroles que nous disons, il me semble que j’en entends quelques-unes rouler d’écho en écho… d’un passé si lointain. Les gestes que nous faisons, il me semble — comme si nous étions entre deux glaces — les voir multipliés — à l’infini.

Lucien. — J’ai peur.

Robert. — Oh ! je vous en prie, ne mourez pas !… je vous en prie, ne recommençons pas cette douleur !

Louise. — Les vagues linéaments de ce qu’il croit voir, je crois aussi les voir. Est-ce de la folie ?

Robert. — La folie, la folie !… Oui, il me semble ; oui, je vois… La dernière fois, ne suis-je pas devenu fou de votre mort ? Oh ! ne me rendez pas fou de nouveau.

Lucien. — Calme-toi, mon fils, calme-toi.

Robert. — Mais il me semble que ces choses se passaient en des pays de mollesse, au bord de lacs de volupté. Il faut vaincre cette fois, au milieu de ces montagnes héroïques. Il faut faire comme la montagne, ne pas avoir peur, ne pas s’écrouler dans les abîmes, parce qu’il passe un orage… Oh ! triomphons aujourd’hui. Le combat recommencerait peut-être sur la lâcheté des rives.

Louise. — Tout ce qu’il voit, il me semble aussi, dans des incertitudes de brume, le voir. Oh ! je ne veux pas risquer de recommencer cette abominable lutte… Robert, Robert, soyez content, nous vivrons.

Robert. — Ah ! les glaces disparaissent, et c’est pour la dernière fois que nous faisons les gestes douloureux. Ah ! cet horrible présent n’est plus de l’avenir.

(Il se jette dans les bras de son père.)

RIDEAU