temps, ils gâchent la leur… Et il y a aussi des lois qui sont mal faites, qui multiplient à l’infini le mal causé par un geste maladroit.
Blanche. — Ah ! oui, les lois sont mal faites… Je ne pourrai que les faire mettre en prison… Un homme qui abandonne sa femme, quand cette femme n’a rien à se reprocher, on devrait le condamner à mort.
Robert, souriant. — Sa femme n’a qu’à faire comme s’il était mort.
Blanche. — Non. Elle souffre, et elle n’est pas vengée. Ça n’est pas juste.
Robert. — Pourtant, si votre mari était mort la veille de son départ, de quoi vous seriez-vous vengée ?
Blanche. — Ce n’est pas la même chose.
Robert. — Où voyez-vous une différence pour vous ? Seriez-vous moins seule, moins veuve ?
Blanche. — Ça n’est pas la même chose, je vous dis. On ne m’aurait pas fait du mal exprès.
Robert. — Mais on ne vous a pas fait du mal exprès. On vous a fait du mal en partant comme on vous aurait fait du mal en mourant… Ce n’est pas pour vous faire du mal qu’on est parti.
Blanche. — Je vous dis que ça n’est pas du tout la même chose. On savait qu’on me faisait du mal. Et ça ne les a pas arrêtés.
Robert. — Ils aimaient. Ils n’ont pu résister à leur amour.
Blanche. — Ils devaient résister, puisqu’il était marié. Il n’y a qu’à ne pas se marier, si on ne peut pas être fidèle à sa femme.
Robert. — On dit que l’amour est un sentiment irrésistible.
Blanche. — Quand on est honnête… et qu’il s’agit de votre devoir… il n’y a rien d’irrésistible… Ah ! que j’ai soif.
Robert, il se lève et lui donne une tasse de tisane. — Permettez-moi une indiscrétion. N’avez-vous jamais aimé ?
Blanche, la tisane à la main. — Si, j’ai aimé… Il y a longtemps… Avant mon mariage… Avant de connaître Lucien… Mais j’étais une honnête fille, comme je suis une honnête femme… Je n’ai jamais manqué à mes devoirs. (Elle boit.)
Robert. — Et votre mari, vous ne l’avez jamais aimé ?
(Blanche finit de boire.)
Blanche, rendant la tasse vide. — Non, je ne pouvais pas.
Robert, allant remettre la tasse en place. — Il vous aimait pourtant, lui ?