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épictète

Qu’est-ce que les philosophes feraient des choses indifférentes que celui-ci appelle le monde ?


serena

Il y eut pourtant des époques de beauté.


historicus

Je crois que tu te trompes, Serena. Il est difficile de savoir ce que deviendrait, vue de près, une époque qu’on admire de loin. Deux choses restent certaines, cependant : toutes les époques sont laides pendant que dure leur grouillement infâme et toutes comptent quelques individus qui sont beaux. Et — je ne sais d’où vient cette iniquité, mais je m’efforcerai de le savoir — il y a des générations qu’on juge sur la laideur de la foule, d’autres qu’on estime pour la beauté des héros qu’elles persécutèrent. Nous proclamons beau le siècle de Périclès. Pourtant Périclès fut en butte à toutes sortes d’accusations, Phidias fut poursuivi, Anaxagore partit en exil, Socrate but la ciguë. Ceux qui se proclamaient les meilleurs se réjouissaient aux grossièretés dégoûtantes d’Aristophane, comme, il y a quelques années, on saluait dans le sale Pétrone le maître des élégances. Mais nous jugeons cette époque récente par la sottise de Claude, la cruauté de Néron, l’ignominie de Messaline, l’esprit infâme de Pétrone, plutôt que par la fermeté de Cornutus, de Thraséas, d’Arria, de Paulina. Et nous décorons tous les lâches imbéciles d’Athènes de l’héroïsme de Socrate, de l’intelligence de Périclès, de la beauté de Sophocle, de l’ingéniosité d’Euripide. Rappelle-toi pourtant, Serena. Combien de fois Euripide fut-il vaincu par des rivaux sans mérite ? Le peuple était donc stupide alors comme aujourd’hui. Périclès fut obligé de gouverner par la ruse. Donc la clarté de son esprit offensait, au lieu de les éclairer, les animaux de nuit, de sottise et de vol qui formaient la foule d’alors comme celle