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Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/22

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absurdes. Si tu parlais à César et devant une foule, tu serais le personnage moitié tragique, moitié comique, qui fait rire les gens de bon sens et qu’applaudissent les imbéciles. Maintenant il n’y a ici ni le peuple ni César. Et tu es l’acteur ridicule qui déclame sans public et sans interlocuteur.


épictète

J’ai toujours un public, les dieux. J’ai toujours un interlocuteur, moi-même.


le préteur

Eh ! bien, et moi, je ne compte pas à tes yeux ?


épictète

Que tu sois là ou bien César, ni César ni toi n’est mon véritable interlocuteur. Vous êtes des circonstances. Toute circonstance doit servir au sage à se connaître et à se réaliser. Sur les bouges comme sur les temples il faut savoir lire le double avertissement que les dieux ont écrit partout : Connais-toi toi-même ; sois toi-même. Chaque circonstance fait que le sage parle aux dieux et à lui-même. Mais lorsque, véridique ou trompeuse, la circonstance porte une figure humaine, les dieux veulent que le sage parle à haute voix et leur rende un témoignage courageux.


le préteur

Epictète, ô vieux petit homme boiteux, laid et pauvre, hier esclave d’Epaphrodite, demain esclave de celui à qui César te livrera, c’est à moi qui suis libre d’infirmité et de pauvreté, à moi qui suis beau et jeune, à moi qui suis l’ami de l’impérator, que tu oses parler comme si je n’étais pas un homme…


épictète

Tu n’es pas un homme, en effet.