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Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/24

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pour te jeter hors de l’Italie ; et je suis l’œil de César, car c’est moi qui t’ai découvert, toi et ta retraite. Quant à l’impérator, heureux comme un dieu d’Epicure, il t’ignore comme l’Olympe épicurien ignore les hommes. Il m’a envoyé à la chasse des philosophes. Mais il ne te connaît pas plus qu’il ne connaît le lièvre qu’on servira demain sur sa table. Toi, au contraire, tu es forcé de savoir que César existe. Tu vois bien que tu n’es pas son égal.


épictète

Je crois que tu as raison, car la science et l’ignorance font les hommes inégaux.


le préteur

Il est de belles ignorances et il est des sciences serviles.


épictète

Il est, en effet, deux sciences serviles : la science d’obéir à autrui et la science de commander à autrui.


le préteur

Tu dis des paroles absurdes, et commander n’a rien de servile.


épictète

Commander est aussi servile qu’obéir. Celui qui commande dépend d’autrui et le maître mourrait de faim sans ses esclaves. Il a besoin d’eux ; il est l’esclave de ses esclaves. D’ailleurs, en tant que maître, il n’existe que par l’existence des esclaves. Être maître est une relation comme être serviteur. Celui-là seul échappe à toute servilité qui n’a besoin que de lui-même. Crois-tu que le sage, qui est le seul homme libre, ait besoin qu’on lui obéisse ?


le préteur

Tes subtilités ne détruiront pas cette vérité : l’ignorance de celui qui peut tuer au hasard est supérieure à la science tremblante de celui qui peut être tué.