Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/29

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arrien

Maître, je ne suis qu’en puissance, si tu permets que j’emprunte ce mot aux péripatéticiens ; mais toi, tu es en acte. Je suis l’apprenti maladroit qui ne sait pas tenir le ciseau et je suis l’œil ignorant qui ne sait pas deviner dans le bloc informe les lignes de la statue… Maître, attends-moi une heure. Je cours chercher un peu d’argent qui est chez moi, et je te rejoins.


épictète

Je ne t’attendrai pas. Viens maintenant, si tu veux.


arrien

Cet argent nous serait utile, et tu veux que je le laisse… Des gens s’en empareront, qui en feront peut-être mauvais usage.


épictète

Que t’importent les gestes d’autrui ? Toi, vois si tu aimes mieux cet argent ou Epictète.


arrien

Maître, c’est mon amour pour toi qui désirait t’apporter ce viatique. Mais, puisque tu en juges autrement, je te suis sans regarder derrière moi.


épictète

Viens donc, fils inachevé dont l’âme chancelante a besoin de moi comme mon corps boiteux a besoin de ce bâton… Quand seras-tu enfin capable de te suivre toi-même ?


arrien

Maître, il y a en moi tant de choses qui ne sont pas moi. Toi qui es sage, tu ne peux deviner quel chaos fou tourbillonne autour des âmes ordinaires. Comment me découvrirais-je moi-même parmi ces agitations contradictoires que seule ta parole apaise un peu ?.. À dire la vérité, l’unique moyen que je connaisse encore de me suivre, c’est de suivre Epictète. Car je n’ai