Aller au contenu

Page:Ryner - Les Chrétiens et les Philosophes, 1906.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


serenus

Mais votre Loi, qui n’est personne, ne mérite pas plus le nom de Dieu que notre Hasard, qui n’est personne.


épictète

Le Hasard n’est rien ; la Loi est quelque chose.


serenus

Peut-être. Mais ils ne sont pas plus personnels l’un que l’autre.


épictète

Le sage est moins personnel que les autres hommes. Passions, désirs, craintes, il est affranchi de la plupart des particularités par quoi les autres hommes se définissent. Le crois-tu moins homme ?


serenus

Je ne sais. Mais, quand on parle d’un dieu, on se le représente comme un homme plus fort et immortel. S’il cesse d’être une personne, il cesse d’être un dieu. Et tu as tort, pensant autrement que le populaire, de parler comme le populaire.


épictète

Le langage, ô Serenus, n’a pas été fait par les philosophes, mais par le peuple. Nous n’avons pour parler que les mots du peuple. Mais nous leur donnons un sens moins matériel et plus riche, de façon à porter dans notre grange un peu plus de grains, un peu moins de paille. Les langues traitent toutes choses comme les religions populaires traitent les dieux ; elles ramènent tout à la forme humaine. Et, entendues par des oreilles viles, elles ne peuvent dire que des choses viles. Notre langage philosophique, pour dire les choses nobles, n’a que des mots sans noblesse et les choses divines, il les chante avec des paroles humaines.