Page:Ryner - Prostitués, 1904.djvu/23

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verres de lunette ; — saint Tolstoï, le plus noble génie de notre temps, qui donne ses livres libérateurs et ne se reconnaît le droit de dîner que lorsqu’il a racommodé une paire de souliers.

On m’a trop déformé, on m’a rendu lâche devant les fatigues du corps et mes mains inexercées sont devenues si maladroites. Je n’ai pas le courage de monter jusqu’au fier sommet où siègent les trois héros. Pour excuser mon absence d’énergie, j’accorde de l’admiration à ces hommes, qui ne sont qu’estimables. Mais, quand je réfléchis, je reconnais que le devoir est un absolu ; on ne saurait faire plus que son devoir et par conséquent, en bonne morale, nul ne doit être admiré. Et j’ai honte de moi.

Je n’ose essayer qu’une demi-libération. Je ne fais pas de travail qui mérite salaire. Du moins, je parle franchement, oubliant que ma parole est payée et que peut-être, à cause de ma franchise, on refusera de m’écouter et de me donner le nécessaire. Ma demi-conversion, je la dois à une rouleuse que vous vous croyez sans doute le droit de mépriser, ô plus prostitués et plus méprisables qu’elle !