Page:Séailles - Watteau, Laurens.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
101
ANTOINE WATTEAU.

de lassitude et de négligence. Avec les amis qui, n’étant pas des étrangers, ne troublaient point sa solitude, sans défiance il s’abandonnait, il redevenait l’homme de son œuvre, « agréable, tendre et peut-être un peu berger » (Caylus). Il apportait à la vie réelle une insouciance mêlée de mauvaise humeur. Il ignorait les ivresses banales de la vanité : il dédaignait ses œuvres faites ; il lui arrivait d’effacer un tableau achevé. Il avait l’impatience de toute servitude ; il vivait au jour le jour, librement, sans s’inquiéter du lendemain. « Il n’aimait point l’argent et n’y était nullement attaché » (Caylus) ; il poussait le désintéressement jusqu’à s’emporter contre son ami Gersaint, qui voulait lai donner de ses œuvres « un prix raisonnable ». Un jour que Caylus lai adressait des remontrances et cherchait à l’effrayer par l’image de l’avenir, de ce qu’il cache de possible et d’inconnu, il n’en obtint qae cette réponse : « Le pis-aller n’est-ce pas Ihùpital ? On n’y refuse personne. » Watteau est un poète autant qu’un observateur ; on ne le trompe pas, il sait voir les choses et les hommes comme ils sont, mais il se détourne de ce qui le froisse, il s’y refuse ; il semble que le contact du monde réel trop rude blesse ce rêveur de choses ailées : il se réfugie dans le monde féerique qu’évoque sa fantaisie, il ne demande à la natare que les images qni lui en donnent la vision précise et la réalité pittoresque.

Cette poésie, où se fondent la grâce, l’émotion et l’esprit, se lie au tempérament de l’artiste, en exprime les faiblesses et les ardeurs. Watteau est un malade : atteint aux