Page:Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, série 2, tome 6.djvu/211

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coup d’œil, à celle que nous venons de critiquer. Elle a certainement l’avantage d’être plus complète ; elle a résolu logiquement le problème qu’il s’agissait de résoudre. Ici l’explication et l’objet expliqué sont deux choses distinctes. On ne répond pas à la question par la question même. Et, en effet, l’utilité est un principe assez général et assez large pour expliquer tout à la fois et la valeur des produits et la valeur des services productifs, de quelque manière d’ailleurs qu’on entende cette dernière expression. En fait, la doctrine de Condillac et de J.-B. Say n’est guère plus satisfaisante que celle de Smith et de Ricardo. Elle ne repose pas, il est vrai, sur une pétition de principe ; mais elle présente d’autres inconvénients qui lui sont propres. Si la solution de Smith et de Ricardo est trop étroite, celle de Condillac et de J.-B. Say est aussi trop large. En faisant venir la valeur de l’utilité, on confond mal à propos ces deux phénomènes ; on leur donne à tous deux la même étendue, ce qui est bien loin d’être exact. Si la valeur vient de l’utilité, l’économie politique devient alors la science de l’utilité. Il n’aurait donc servi à rien que Smith distinguât la valeur d’utilité de la valeur d’échange, l’utilité proprement dite de l’utilité valable ou en d’autres termes l’utilité de la valeur.

Mais la distinction de Smith est essentielle et fondamentale en économie politique ; J.-B. Say lui-même l’a proclamé dans ses notes sur Ricardo, et le sens commun témoigne hautement en faveur de cette distinction. Il y a effectivement une différence, et une différence tranchée entre l’utilité et la valeur d’échange. Ce sont deux choses qu’il est impossible de confondre. L’utilité est, il est vrai, la condition de la valeur d’échange. Un objet qui serait inutile, qui ne pourrait servir à rien, ou qui ne pourrait satisfaire à aucun besoin, serait, par cela même, dépourvu de toute valeur ; mais la valeur n’a pas sa cause dans l’utilité ; c’est ce qu’il est facile de démontrer par le raisonnement.