Page:Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, série 2, tome 6.djvu/220

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Or, quand on parle d’une utilité qui reste la même, il faut avoir soin de dire si l’on entend que l’utilité ne change pas sous le rapport de sa nature, de son intensité, ou si l’on entend par là que la somme des choses utiles ne subit aucun changement. Condillac ne fait pas attention à cette différence. S’il avait eu soin d’en tenir compte, il aurait vu que l’utilité considérée dans sa nature n’exerce aucune influence sur la valeur d’échange, que c’est l’utilité considérée dans sa somme ou dans sa quantité qui exerce de l’influence sur la valeur. Au reste, l’explication de Condillac, ici comme tout à l’heure, brise son principe ; mais elle a du moins l’avantage de nous ramener vers la vérité.

Il n’en est pas de même de J.-B. Say. Le disciple a été plus malheureux ou plus mal inspiré que le maître. J.-B. Say, comme Condillac, a prévu l’objection qu’on pourrait faire à sa doctrine, et, comme Condillac, il a voulu la prévenir. Il a donc répudié son premier principe. Mais, au lieu de se rapprocher de la vérité, il s’en est écarté dans un autre sens ; il est venu se jeter dans les bras de l’école anglaise. Et, en effet, après avoir avancé que la valeur venait de l’utilité, J.-B. Say distingue une utilité naturelle et une utilité produite, et il nous enseigne que la valeur d’échange se proportionne à l’utilité produite seulement. Certes l’explication a droit de nous surprendre. Et, en effet cela revient à dire que la production est la cause de la valeur ; car, comme je le disais tout à l’heure, un effet ne saurait se proportionner à autre chose qu’à sa cause. J.-B. Say est donc obligé d’en revenir à la doctrine d’Adam Smith et de son école, et de placer dans la production l’origine de la richesse sociale et de la valeur qui la caractérise. Sans doute, J.-B. Say se fait de la production une idée plus large et moins fautive que celle de ses devanciers. Personne plus que moi n’est disposé à rendre hommage aux améliorations que J.-B. Say a introduites dans la science de la richesse. Grâce à lui, nous savons que la production se