Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/80

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.



LUCIE DELARUE-MARDRUS




Mme Lucie Delarue-Mardrus est née à Honfleur, le 3 novembre 1880. Son père, M. Georges Delarue, avocat à la Cour d’Appel de Paris, appartient à une vieille famille normande ; sa mère est Parisienne. — En 1900, elle épousa le docteur J.-C. Mardrus, le traducteur bien connu des Mille et une Nuits.

L’œuvre poétique de Mme Delarue-Mardrus compte parmi les plus considérables qu’aient écrites les poétesses contemporaines. — Cette œuvre a inspiré de nombreux articles. Selon la méthode que j’ai adoptée pour cet ouvrage, j’en veux donner ici quelques extraits.

Tout d’abord M. Charles Maurras.

M. Maurras se montre un peu scandalisé des hardiesses de Mme Delarue-Mardrus. Après avoir reproduit les vers suivants :

Je suis la hanteuse des mers fatales
Où s’échevèlent les couchers sanglants…
Ma solitude orageuse s’y mêle
Au désert du sable vierge de pas
Et où, sans craindre d’oreille, je hèle,
Je ne sais quel être qui ne vient pas.

Oh ! la mer ! la mer ! Toi qui es mon âme,
Sois bonne à cette triste au manteau noir,
Et de toute ta voix qui s’enflamme et clame,
Hurle ta berceuse à son désespoir.

Après avoir reproduit ces vers, dis-je, M. Maurras ajoute sur un ton que ne désavouerait pas le plus pur romantique :

« Ellipse claire, ellipse obscure ; hiatus doux et hiatus dur ; fines condescendances, or des vulgarités : les tons fondus et les tons tranchés, ou voyants, se heurtent dans le même vers. La beauté de l’un est faite d’une allusion presque inextricable, la beauté de l’autre, d’une vieille paire d’images très brusquement désaccordées, la laideur d’un troisième, d’une image trop neuve, ou d’un couple contradictoire forgé sur une enclume sourde qui ne connaît point la pitié. Tous ces éléments dont l’auteur qualifierait la rencontre de « spontanée » semblent, au contraire, assemblés par le plus volontaire des jeux, par le plus agressif des défis, dans le plus fantasque des rêves : caprices d’une petite fille, au surplus fort originale, plus désireuse encore de le paraître. » — Et M. Maurras de faire dire à Mme Delarue-Mardrus : « Moi, je parle bizarre, comme d’autres parlent français. » Il y a du vrai dans cette boutade. Vraie aussi en partie la comparaison avec Pétrus Borel. De fait, il semble bien que l’auteur d’Occident s’amuse à « épater le bourgeois », amusement romantique s’il en fut ! De romantisme, d’ailleurs, Mme Delarue-Mardrus n’en est point exempte, mais c’est une romantique qui a lu Maeterlinck, Verlaine, Mallarmé, Laforgue… et aussi Richepin… et même Bruant. Mais la lecture