Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/110

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A pris pour m’asservir ses plus puissantes armes,
Ah ! que je l’appréhende avecque tant d’attraits !
C’est le jeune Tircis qui lui fournit ses traits,
Tircis, de tous les cœurs le charme inévitable,
Tircis, en qui reluit tout ce qui rend aimable.
Et dont le ciel prodigue, à verser ses trésors,
Ne forma que trop bien et l’esprit et le corps :
Ce mérite pourtant dont la force est si douce,
N’est pas le seul sujet des soupirs que je pousse ;
Avec ses qualités, je l’aurais estimé
Mais je n’aimerais point, s’il n’avait point aimé ;
Pour tout autre que lui je serais invincible.
Jamais autre que lui ne me rendit sensible,
Et je ne croyais pas l’amour contagieux.
Lorsque, sans y penser, je le vis dans ses yeux
D’un péril si charmant mon âme fut surprise.
Et dès ce premier coup craignit pour sa franchise ;
Son courage ordinaire alors se démentit
Et mon cœur soupira des maux qu’il pressentit ;
Il a par mille efforts tâché de se défendre.
Mais je sens bien qu’enfin il est près de se rendre.
Et ma faible raison, dans ce mortel danger,
Le trahit elle-même et sert à l’engager.
Si mon repos, est cher, si ma gloire t’est chère.
En l’état où je suis, dis-moi, que dois-je faire ?
Quand je croirai Tircis plus fort que mon devoir.
Me faudra-t-il résoudre à ne jamais le voir ?
Par un effet cruel, dont le penser me tue,
Priverai-je mes yeux d’une si douce vue ?…
Mais, Dieux ! Ce ne serait qu’une vaine rigueur,
Et je ne puis jamais l’arracher de mon cœur !
Hélas ! en tous endroits tu sauras que sans cesse,
Cet aimable gardon me tourmente et me presse,
Les amours, diligents à servir ses désirs,
À toute heure, en tous lieux m’apportent ses soupirs.
M’expriment ses ennuis, ses transports et ses craintes.
Et d’un air languissant me redisent ses plaintes.
Enfin, il suit partout la trace de mes ]ms.
Et je le trouve même où je ne le vois pas.
Quand j’espérais encor de l’ôter de mon âme.
Souvent dans le désir de surmonter sa flamme,
J’évitais ses regards comme un charme fatal ;
Car je me doutais bien qu’aimer était un mal ;
Mais, aimable Daphné, j’avais beau me défendre,