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parler du brave chevalier voudrait le connaître ; elle le fait mander par un de ses chambellans.

Eliduc se rend à l’appel de la princesse et le voilà introduit auprès d’elle :

Elle l’avait par la main pris[1],
Dessus un lit étaient assis ;
De plusieurs choses ont parlé.
Elle l’a beaucoup regardé,
Son air, son corps et son visage.
Se dit : « Rien n’a que d’avenant ».
Fortement le prise en son cœur.
Amour lui envoye un message
Qui lui conseille de l’aimer,
Pâlir la fait et soupirer.
Mais ne voulût son penser dire,
De peur que lui n’en fit que rire.
Un grand moment, il demeura
Puis, prit congé et s’en alla.
Elle l’accorde en grand dépit,

  1. Pour la traduction de ce lai, nous avons suivi autant que possible le texte de l’édition de M, Karl Warncke publié par la Bibliotheca normanica. On pourra d’ailleurs s’en rendre compte par l’extrait que nous donnons ci-dessous du texte primitif. — Une traduction en prose aurait été sans nul doute, plus claire que notre modeste essai de pseudo-versification, mais cela n’aurait pas permis au lecteur de se faire une idée de l’œuvre de Mario de France.

    Cele l’avait par la mein pris,
    Desur un lit érent asis ;
    De plusurs choses unt parlé.
    Icele l’a mult esguardé.
    Son vis, sun cors e sun semblant ;
    Dit : en lui n’a mesavenant.
    Forment le prise en son curage.
    Amurs i lance sun message
    Qui la somunt de lui amer,
    Palir la fist e suspirer.
    Mes nel volt mettrë a raisun
    Qu’il ne li turt a mesprisun.
    Une grant piece i demeura
    Puis prist cunglé, si s’en ala.
    Et li duna mult a enviz ;
    Mes nepurquant s’en est partiz
    A sun ostel s’en est alez,
    Tuz est murnes e très pensez ;
    Pur la belë est en osfrei
    La fille sun Seigneur le rei,
    Que tant dulcemont l’apela
    E de ces qu’ele suspira.