Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/240

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L’ébénier rajeuni balance, gracieuses,
À la brise de mai, ses riches grappes d’or,
L’oiseau remplit de chants les nuits mélodieuses
Comme si deux amis les admiraient encor.

Pour qui vous parez-vous ainsi, chère retraite ?
Vêtissez-vous de deuil, comme moi, pour toujours ?
Vous ne le verrez plus, le docte anachorète.
Oubliant sa langueur pour sourire aux beaux jours.

Vous ne l’entendrez plus, cette voix adorée.
Qui sut en vers si frais chanter ces frais taillis ;
Qui, naguère, plus grave et du ciel inspirée,
Forma de saints accords des anges accueillis.

Aux goûts simples et purs, à ces vallons fidèles.
Par UR rayon d’avril il était réjoui ;
Ses regards épiaient la première hirondelle,
Et le premier bouton à l’aube épanoui.

Et moi, quand s’apaisait cette fièvre brûlante,
Qui sur ta couche, hélas, souvent te retenait,
Que j’aimais à guider ta marche faible et lente.
À sentir à mon bras ton bras qui s’enchaînait.

Quoi ! pour jamais absent, tendre ami que je pleure !
En vain je crois te voir aux lieux où tu n’es pas ;
Et pour te retrouver, c’est loin de ta demeure,
C’est dans l’enclos des morts qu’il faut porter ses pas.

Et le printemps revient avec son gai cortège ?
On voit les fruits germer, le feuillage frémir,
La vigne couronner le pin qui la protège.
Dans cet ingrat séjour, je suis seule à gémir !

Tout chante, aime, fleurit… Incessante ironie,
Pour mes yeux qu’ont brûlés tant de veilles, de pleurs ?
Pour ce cœur dévasté, plein de ton agonie,
Que font saigner encor tes suprêmes douleurs !

Ah ! viennent les frimas, l’inclémente froidure,
Et dans les bois flétris les longs soupirs du Nord,
Et la neige étendant sur la molle verdure,
Son suaire glacé d’une pâleur de mort !