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Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/98

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MARIE DE GOURNAY




À la fin du XVIIe chapitre des Essais de Montaigne, nous trouvons ceci : « J’ai pris plaisir à publier en plusieurs lieux l’espérance que j’ai de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance, et certes aimée de moi beaucoup plus que paternellement et enveloppée en ma retraite et solitude comme l’une des meilleures parties de mon propre être. Je ne regarde plus qu’elle au monde. Si l’adolescence peut donner présage, cette âme sera quelque jour capable des plus belles choses et entre autres de la perfection de cette très sainte {{corr[amitiée|amitié}}, où nous ne lisons point que son sexe ait pu monter encore. »

Dans son affection enthousiaste, Montaigne ne se trompait pas, car Mlle de Gournay fut certainement un esprit supérieur et tous les lettrés lui doivent, en particulier, une grande reconnaissance, pour les soins pieux dont elle entoura la personne et l’œuvre de Montaigne.

On ne connaît pas au juste la date de la naissance de Marie de Gournay le Jars. On la place ordinairement vers les derniers jours de septembre 1565. Montaigne avait alors 32 ans et demi et venait d’épouser Françoise de Chassaigne, fille d’un conseiller de Bordeaux.

Marie de Gournay était l’aînée d’une nombreuse famille. Guillaume le Jars, son père, qu’elle perdit fort jeune, était trésorier de la maison du Roi. Restée veuve, sa mère, Jeanne de Hacqueville, d’une famille de robe, se retira à Gournay, près de Compiègne. C’est là que Marie fut élevée. Tout en s’occupant des travaux du ménage, elle apprit toute seule, sans grammaire et sans maître, le latin. Elle atteignit ainsi dix-neuf ou vingt ans, quand les Essais, dont les deux premiers livres avaient paru en 1580 à Bordeaux, lui tombèrent entre les mains. Elle fut complètement captivée et eut alors comme plus vif désir de se lier avec Montaigne. Elle y réussit en 1588, quand celui-ci vint à Paris, lors d’un voyage qu’elle et sa mère y faisaient. Elle se fixa à Paris, après la mort de sa mère en 1591 et, dès lors, vit souvent Montaigne qui la nommait, comme nous l’avons vu plus haut, sa « fille d’alliance ».

Après la mort de Montaigne, Marie de Gournay se rendit à Bordeaux, eut communication de ses papiers et fit, d’après un exemplaire corrigé et augmenté par lui-même, une édition des Essais (1595) qui a servi de modèle à toutes les bonnes réimpressions qui parurent ensuite de cet ouvrage.

En dehors de son culte pour Montaigne, Mlle de Gournay est intéressante par sa propre production et sa longue vie littéraire.

Elle fit paraître ses œuvres sous le titre : L’ombre de la demoiselle de Gournay (1620) avec cette épigraphe : « L’homme est l’ombre d’un songe et son œuvre est son ombre. » Lors d’une suivante édition, elle modifia le titre ainsi : Les advis ou Présents de la demoiselle de Gournay (1635 et 1649).

Marie de Gournay est encore l’auteur du Bouquet du Pinde, livre d’épigrammes sans pointes, dédié à Léonor, fille unique de Montaigne, morte en 1626.

Qu’il s’agisse de ses traductions ou de ses poésies originales, on peut dire que les vers de Mlle de Gournay ont de la franchise et de la vigueur. L’em-