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LES MUSES FRANÇAISES

poétique de la Comtesse Kapnist. — Loin de moi l’idée de contester le mérite de ces poèmes, celui qui ouvre le livre et qui lui donne son titre, V Acropole, est assurément d’une tenue parfaite, d’une architecture très pure, et il est soutenu et emporté par un large souffle lyrique qui fait trop souvent défaut à ces sortes évocations d’une beauté disparue. Voyez plutôt :

Les yeux sur l’horizon, j’écoute les accents
Qui descendent des deux et qui montent des choses.
Autour de l’Acropole ils vibrent, caressants.
L’enveloppant de vapeurs roses.
Et la sereine voix, faite de mille voix.
Dit : « Je suis la Beauté, à mes paisibles lois
Le temps est asservi. De l’oubli, du barbare. D
e la destruction, — j’ai triomphé !
Les chapiteaux sculptés ont étouffé
Le feu ; la touffe en fleur répare
Le mur troué par le canon.
Tous ces héros tombés autour de moi sans nom.
Ne les voyez-vous pas comme en une éclaircie ?
Ne sont-ils pas vivants de poésie,
Avec la liberté montant au Parthénon ?
Si le boulet en marbre a laissé son outrage,
Le fronton, comme un front, sous le sillon de l’âge,
Paraissant plus sévère a pris un air sacré ;
Et quand l’homme à présent s’arrête et le contemple,
Sans prêtre, sans autel, il reconnaît le temple
Du sublime malheur, de la pure beauté……

De tels vers sont beaux, mais, malgré leur plasticité, malgré tout l’enthousiasme dont l’auteur les a chargés, ils ne laissent pas d’être froids ; peut-être noua intéressent-ils, à coup sûr ils ne nous émeuvent aucunement. — Je dirai la même chose des autres pièces inspirées de l’antiquité ; ce sont des poèmes bien composés, mais laborieux et sans vraie originalité Aussi combien je leur préfère ceux qui ont pour titre Nature et Homme, Devant un mort. Le Vent, Oukraina Ces poèmes-1^, tous ceux qui ont parlé de l’œuvre de la Comtesse Kapnist ne les ont pas lus, autrement comment expliquer qu’ils n’aient point été frappés de leur grande beauté. Ici, plus de réthorique, le poète se laisse guider par sa seule inspiration ; sa personnalité puissante s’affirme ; sa pensée robuste, le tour philosophique de son esprit ne sont plus entravés par rien. Le vers est plein, nerveux, nombreux, rythmé d’une main sûre, sonore, réfléchi, évocateur et imagé.

Dans ces pièces — avec moins d’originalité sans doute, avec moins de nouveauté, moins de modernisme surtout, — Mme Eugénie Kapnist approche les meilleures poétesses de notre temps. Depuis Mme Ackermann, seules Mme Daniel Lesueur et elle ont écrit des poèmes aussi volontaires, et d’une aussi forte trempe. Et, malgré soi, lorsqu’on lit les strophes vibrantes et harmonieuses de la Comtesse Kapnist, un nom s’évoque en notre esprit, celui de Leconte de Lisle. Certaines pièces de l’Acropole, notamment